"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




dimanche 19 juin 2011

Les Seins de Ko (haïbun de Bill Bilquin)

les seins de ko



pleine lune
l’ombre nette de mes seins
sur le futon


c’est par ces lignes que commence le best-seller d’akiko blanche-marine, un
livre racontant de façon presque clinique l’errance de ko, une eurasienne à la
recherche d’hypothétiques racines dans le japon natal de sa mère. un roman
court. cent trente pages à tout casser. un livre où les seules notes aériennes
émanent de haïkus disséminés çà et là. au hasard des lignes. au détour des
détours de l’héroïne. et puis ce premier haïku. première nuit à tokyo. première
peur. première insomnie. naturellement, lancelot est tombé immédiatement
amoureux de cette héroïne de papier. la pâleur de ses traits, sa peau diaphane,
et ses seins. oui, ses seins… ses seins si pointus. combien de bonbons n’a-t-il
pas suçotés en rêvant aux tétons mutins de ko? quel est leur goût? leur couleur
exacte? leur texture? il se remémore sans cesse cette scène de jamon jamon dans
laquelle penelope cruz se fait vertement gober les seins par un homme lui
soutenant qu’ils goûtent le jambon. les seins de ko
goûtent-ils la glace au thé vert? ou les gyozas? les seins de ko hantent les
nuits de lancelot. et les jours aussi. lancelot en est là. un peu perdu.
complètement éperdu. amoureux d’une héroïne de livre. à 28 ans. quelle
tristesse. je ne suis quand même pas le héros secondaire d’un film de lelouch se
répète-t-il sans cesse et sans se convaincre vraiment. et pourquoi pas? pourquoi
n’incarnerait-il pas le rôle de cet adulescent qui croit encore aux belles
histoires? par un phénomène très naturel de substitution, lancelot tombe
amoureux de l’auteur. les lignes qu’il a lues sont trop naturelles pour avoir
été complètement inventées. ce livre est une autobiographie, une tranche de vie,
un peu à la façon d’une sophie calle. ko ne peut être qu’akiko. l’aphérèse est
là. aguicheuse et irrépressible. la première flèche d’un jeu de piste que
lancelot se met en tête de suivre. ce serait son lost in translation à lui.
akiko a lancé un appel. et il y répond. bien entendu, akiko ne s’est
jamais montrée. pas la moindre interview. aucune photo. silence absolu du côté
de l’éditeur. banquise totale. ce petit mystère a évidemment contribué au succès
du bouquin. chaque journaliste y allant de sa propre interprétation. l’un
prétendant qu’elle s’était suicidée, et que ce livre correspondait à sa lettre
d’adieu, l’autre assurant qu’il s’agissait d’une écrivain déjà connue pour des
livres mièvres… mais aucune de ces élucubrations n’a incité akiko à sortir de
l’ombre nette de ses seins sur le futon. insomnie.


nuit froide à kyoto
mes tétons durcissent encore
au contact du lin


c’est en sueur que lancelot se réveille. ligne quatre. saint sulpice. une
station trop loin. il sort précipitamment de la rame. laissant les seins de ko
sur un siège. un attentat poétique non prémédité. pas grave. par habitude, il a
toujours trois exemplaires avec lui. par habitude. ou par obsession. quel est
cette étrange impression? tout le monde le regarde. horreur. lancelot bande. il
s’enfuit, longeant les murs obscènes. il s’enfonce dans un couloir sombre. à la
première librairie, il rentrera et rachètera un exemplaire pour en avoir trois
sur lui. il se demande s’il n’est pas le principal responsable du succès de ce
livre. un best-seller rien que grâce à lui. et le voilà encore conforté dans son
besoin de rencontrer akiko. elle ne peut que tomber amoureuse de lui. en
marchant au beau milieu de ses pensées, lancelot frôle la mort déguisée pour le
coup en peugeot 406 bleu marine et grosses moustaches. il se dirige vers
l’adresse de l’éditeur. celle qu’il a pu trouver
après plusieurs jours de recherches dans des registres à peines informatisés.
l’arbre à papier. quel nom, j’vous jure! après plusieurs jours d’essais
infructueux par téléphone – ça ne répond pas, pourquoi appeler ça un répondeur?
– il décide de se rendre en personne chez l’éditeur, bien décidé à leur
extorquer les précieuses informations. rue des canettes. numéro dix-sept. le
nombre de syllabes d’un haïku. par définition. numéro dix-sept, c’est un bar.
les caves saint germain. aux étages, gaz et appartements exigus au loyer
prohibitif. au numéro dix-neuf? le café six. trop de chiffres. le sixième.
quartier historique des éditeurs. et quartier hystérique des sorteurs. pas
d’éditeur ici? lancelot va boire. s’enfoncer un peu plus dans son délire. et
dans les seins de ko. un décolleté passe à portée de doigts. s’y agripper. que
cette cocagne pulmonaire m’apporte une bouffée d’air. lancelot tombe sous le
choc de la gifle. il tombe ausssi en sanglots. sa quête en berne. il
raconte son histoire. en n’omettant aucun détail. et sans en rajouter. la foule
l’écoute. d’abord par politesse. par gourmandise ensuite. la foule parisienne,
quand on ne lui demande pas son avis, elle aime les héros secondaires des films
de lelouch. fin de soirée. les seins au décolleté ont finalement capitulé. la
tête haute. jamais on ne m’a touché les seins comme ça lance une inconnue le
matin. j’ai eu un orgasme d’une effroyable lenteur. tu es lent comme le miel.
plutôt comme une cérémonie du thé répond lancelot. comme tu veux. bon, je file
bosser. tu n’as qu’à claquer la porte. je suppose qu’on ne se verra plus. mais
tu sais où me trouver. lancelot se rhabille. petit déj chez paul. il y croise
michel field et le salue comme s’il le connaissait. en payant l’addition, un
carton de bière glissé entre les billets. la personne que vous cherchez va
souvent au bistrot mazarin.


sa main chaude
épouse le galbe de mon sein
l’odeur du thé vert


bistrot mazarin. lancelot attend. à chaque fois que la porte d’entrée fait
entendre son grincement, son cœur se serre. il redresse timidement les yeux. un
ado. il se revoit quatorze années auparavant, perçant ses boutons dans la salle
de bains après s’être masturbé sur une photo sein nus de samantha fox, sans
doute un montage, tout bien réfléchi, ses cheveux un peu gras, ses lunettes trop
grandes, sa voix hésitant entre maya l’abeille et les gremlins, une seule chose
était sûre, la mode des mini shorts qui déployait les jolis stylos des jambes
des femmes. trois jours. trois jours à boire du thé. et à se retenir d’aller
pisser pour être sûr de ne pas la rater. il est si près du but. akiko, un
pseudonyme, on le lui avait confirmé dans sa nuit aux caves saint germain, vient
souvent ici. trois jours interminables à la fin desquels un serveur aux accents
bretons lui demande qui il attend. akiko. vous êtes sûr? vous allez être
surpris. demain soir. vingt heures vingt. lancelot
aurait aimé dix-sept heures, pour la symbolique. mais vingt heures vingt, cela
lui convient. parfaitement même. cette nuit-là ne sera pas hantée. calme comme
une porte en papier. la journée suivante semble plus longue. une longue douche.
rasé de près. repasser la chemise en lin col mao. acheter des amaryllis rouges.
les offrir à une dame âgée qui sort de la librairie dans laquelle lancelot
achète plutôt un moleskine, un stylo à plume et une encre poussière de lune
couleur lie de vin. attendre à nouveau. vingt heures vingt. et des poussières
d’éternité. peu avant vingt heures trente, un petit homme trapu arrive, fait la
bise au chef de salle. il s’approche de la table. bonsoir, je suis akiko.
lancelot ne comprend pas. c’est moi qui ai écrit le livre que vous tenez à la
main. vous n’êtes pas une femme? on ne peut rien vous cacher. l’homme est
plaisant. courtois. fin. mais c’est un homme. le monde de lancelot s’écroule.
mais je suis amoureux de vous. enfin, je l’étais. je
suis akiko, mais je ne suis pas ko. mais votre écriture est tellement celle
d’une femme. merci du compliment. vous êtes homo? non, je suis comme vous.
amoureux de ko. elle travaille un peu plus loin dans un bar à sushi. je ne sais
pas si c’est son nom et ce n’est certainement pas son histoire. mais il s’agit
assurément de ses seins. akiko, le pseudonyme, paie le repas et deux excellentes
bouteilles. adieux cordiaux. le lendemain, lancelot mange des sushis. ko est là.
devant lui. les seins insolents. regards. sourires. ko s’appelle coraline. et
elle aime beaucoup le livre que lit lancelot. la nuit sera lente. comme du miel
dans le thé. insomnie.


éjaculation
dans le prolongement de mes seins
le mont fuji

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