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Santoka




dimanche 19 juin 2011

Julien Vocance

Julien Vocance - Cent visions de guerre

Voici quatre-vingt ans que chaque année, au mois de novembre, est célébrée la fin de ce qu’on a appelé la Grande Guerre, celle de 14-18. Ceux qui ont échappé aux massacres ont souvent des difficultés à raconter ce qu’ils ont vécu, l’horreur de cette existence pleine de morts, de souffrance et d’injustice étant difficilement imaginable pour nos contemporains. La terreur et le désespoir des tranchées, de la boue, du sang, sont toujours difficiles à raconter à ceux qui n’y étaient pas.
Et pourtant, un homme, un poète, a su transmettre, à travers ce qu’il voyait, ce qu’il vivait, l’absurdité de ces batailles où des millions de jeunes gens étaient envoyés à la mort comme du bétail. Par de rapides impressions écrites au moment où elles étaient vécues, Julien VOCANCE (1878-1954) nous a laissé son témoignage de la guerre de 14 dans un recueil intitulé "Cent visions de guerre" (une allusion au "Trente-six vues du Mont Fuji" du graveur d’estampes japonais Hokusaï). Utilisant avec efficacité la forme poétique du haïku, Julien VOCANCE a su adapter des techniques poétiques venue de l’autre côté du monde pour tenir, sous la mitraille et les bombes, un journal de guerre composé d’une succession de tercets qui racontent en visions brèves les trous d’obus, le sifflement des balles, les pauvres cadavres accrochés aux barbelés. Certains de ces tercets sont restés célèbres. Ils retracent, en de courts tableaux, d’intenses moments de cette guerre atroce.

Dans un trou du sol, la nuit
En face d’une armée immense
Deux hommes

*
La mort dans le coeur
L’épouvante dans les yeux
Ils se sont élancés de la tranchée

*
Ils ont des yeux luisants
De santé, de jeunesse, d’espoir
Ils ont des yeux en verre.

*
Malaise de toute la chair
Où, dans un instant, peut entrer
La mitraille proche.

*
Gris fer, gris plomb, gris cendré,
Gris dans les coeurs résignés :
Relève des tranchées.

*
Pour arriver jusqu’à ma peau
Les balles ne pourraient jamais
Se débrouiller dans mes lainages.

*
Dans sa flanelle
Ses ongles vont, picorant
Les petites bêtes.

*
Il a lu la lettre de l’écolière,
Il a bien regardé son nom,
Il a dit que ça n’était pas pour lui.

*
Dans les vertèbres
Du cheval mal enfoui
Mon pied fait : floche...

*
Une belle lueur !...
Les mains aux paupières
Pour se protéger.

*
Retenu par le poids du sac, à la renverse
Sur la pente gluante,
Il gigote, hanneton comique et pitoyable.

*
Pansements durcis,
Vêtements flétris,
Visages fermés.

*
Des croix de bois blanc
Surgissent du sol,
Chaque jour, ça et là.

*
Un trou d’obus
Dans son eau
A gardé tout le ciel

*
Fleur qui respirait la lumière,
Son oeil gît,
La gorge tranchée.

*
Au petit jour,
Ils avalent goulûment
La soupe froide.

*
Dans ses yeux déjà voilés
L’affreux souvenir a passé
De la femme et des petiots...

*
Mais le poète survit tout en conservant à jamais les blessures de cette guerre effroyable.
*
Je l’ai reçu dans la fesse
Toi dans l’oeil
Tu es un héros, moi guère

*
Echappé de la lutte sanglante,
Sous la lampe du soir
Me réfugier près de toi.

*
Guerriers farouches!
Leur coeur chavire
Devant un bobo de gosse.

*
Vieux briscard,
Aux champs retiré,
Mais que l’après-guerre lamine.

*
Il s’assit,
Genoux au menton
Dans une encognure de porte.

*
Cent visions de guerre est publié dans Le livre des Haï-kaï, poèmes de Julien Vocance (Joseph Seguin), Les Compagnons du Livre, 1983
http://www.terebess.hu/english/haiku/jvocance.html

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