"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




jeudi 30 juin 2011

le haïku

il est sorti, nu

Le livre nu

à propos du haïku









Chaud comme une caille
qu'on tient dans le creux de la main
Naissance du haï-kaï ?

Julien Vocance
















Wild to sit on a haypile
writing haïkus
drinkin' wine

Jack Kerouac

















sans hutte ni bol
ni robe de moine
j'écris des haïkus

Philippe Quinta
















Like hornbeam flowers
let your poems
hang down your body

Ryu Yotsua
















Attendu que ...
la lettre de l'avocat
n'est pas un poème

Philippe Quinta















nouveau stylo
une cartouche de haïkus
dans le réservoir

Damien Gabriels















Tapoter son stylo
pour en faire sortir
un très vieux haïku

Jean Antonini













le sol est encore bien dur
le jardinier réduit
à écrire des poèmes

Thierry Casasnovas
















ticket de bus
juste assez de place
pour un haïku

Damien Gabriels


Sur du papier à pharmacie
je jette des poèmes
Nuit glacée

Moppo Tomita
















vieillissant
davantage de haïku
davantage de bouillon de navet

Kyoshi










écrier









"toujours être ailleurs" :
c'était bien avant
le haïku
















"ah, c'est juste ça ?"
dit-il, lisant un haïku.
"oui. C'est juste ça."
















écrire un haïku ?

sur un raccourci
muser
















pendant qu'il clouait
les poutres d'une charpente
- j'écrivais un mot
















magnolias en fleurs -
pourrais-je
ne pas écrire ?
















quelle chaleur !
son carnet de haïku
attire les mouches
















Jour des Défunts.
lisant des poèmes de mort
je trouve de la douceur
à la pluie d'automne
aussi.
















seule la bougie
silencieusement danse
au son de ma plume

















sur la page froide
la main ne se repose pas
longue soirée d'automne ...
















à demi nu
dans l'air froid du salon
- haïku de minuit
















Madame Gravelle.
La calebasse toujours pleine
de poèmes

Vincent Hoarau














*





poète
un peu un métier inverse
à celui du maçon





*









sur la page blanche
à l'encre noire
un monde en couleur









*







crier + encrier = écrire







*




et un poème :

La croix


« J'ai voulu vivre dans le pays où tu es, où les frontières sont abolies, mais toujours, je t'ai entendu ne rien me dire. Et j'ai alors préféré la mort à la vie. A cause de la vie. Comme si la mort était le pays où tu vivais, où tu ne mourrais plus. Comme si même la mort mourait. »

Sur la page 202 du Besoin de poème d'Yvon Le Men, un lecteur m'a précédé. Il a tracé devant ces lignes deux traits profonds au crayon de papier. Et, comme si cela ne suffisait pas à crier son cœur, il a placé, à la gauche de ces traits, une croix. Son exclamation muette. Sa confidence au livre. Sa résolution.

X

La croix disait « Je me suis arrêté là. J'ai souffert cette souffrance. Ce texte, c'est ma voix. Ces mots, ce sont mes larmes. Merci. »

X

Cette croix. Une déclaration de mort, gravée dans la chair du livre. Une promesse à son amour perdu. Comme autrefois peut être leurs cœurs entrelacés sur un tronc quelque part.

X

Cette croix. Une signature en bas de vie. La signature d'un vivant qui n' avait plus de mots. La signature d'un homme qui n'avait plus de nom.

Qu'est il advenu de ce lecteur, de cet amant, de de veuf, de ce pauvre cœur muet ? Et où est-il à présent ?


sans doute dans ce pays

au pays des frontières abolies

là où elle vit

et ne mourra plus.


Vincent Hoarau

La Mort du poète

La mort du poète ne laissa nulle trace

Sur les feuilles mortes de l’histoire

Et il disparut corps et lettres

A l’horizon du septième ciel.

Nul n’eut plus le loisir

De lire ses moindres mots

De parcourir la justesse de sa vie

Ni de déceler le souvenir

D’un pauvre parcours de rien.

La mort du poète ne laissa pas de rimes

Il n’en utilisait pas il ne les aimait pas

Son vers chantait faux et sa barbe

Brisait les mélodies d’un coup du sort.

Il voulut une épitaphe

A mettre sur ses cendres

« L’homme de rien retourne au rien »

Tout s’envola dans le vent de la mer.

Et il disparut corps et bien.

La mort du poète ne laissa nulle trace

Sur le cristal des roches en mouvement

Qui courait plus vite que son ombre

Et il disparut corps et corps.

Seul le souffle d’un miroir en mal

De reconnaissance

Tenta un temps de garder

La silhouette de ses amours

Qui s’estompait dans la garrigue

La mort du poète ne laissa pas de strie

Ni de noctiluques si lumineuses

A la surface de l’avenir de l’homme

Nulles traces qu’un jour

Un chercheur du passé

Puisse ressusciter

Sous la férule du soleil d’alors.

La mort du poète ne laissa nulle trace

Dans la fulgurance des orages.


La Mort du poète, Jean-Pierre Lesieur

mercredi 29 juin 2011

nouvelle vague



le froid de l'océan
à cet autre monde
je m'acclimate

















vague après vague
de la terre je m'éloigne
en sautillant

















la mer bombe le torse
ouvre la bouche
et m'engloutit

















plonger dans l'océan
comme un saut
dans l'espace

















juste un instant
cette angoisse froide
après le plongeon

















parfois sur mes pieds
glisse un courant froid
comme un serpent

















vagues scintillantes
une nage
comme un fou rire

















qu'essaie-t-il de prouver
à lutter ainsi
contre les vagues ?

















la première nage
folle et rageuse
comme une évasion

















ressortir de l'eau
enveloppé de fraicheur
et de lumière

















et par l'océan vaincu
l'homme revient rampant
sur sa serviette

















essoufflé
le bruit régulier de la mer
me séchant, j'écoute

















frais,
reniflant,
essoufflé,
en paix,
je contemple l'océan

















séchant au soleil
je cale ma respiration
sur celle de la mer

















chuchotement des vagues ...
les caresses de grand-mère
dans mes cheveux



















bain de mer
bain de soleil, bain de mer
bain de soleil ...























haïku de l'océan












réveillé, en nage
le murmure de l'océan
autour de sa tente

Vincent Hoarau









me voilà
là où le bleu de la mer
est sans limite
Santoka

(Richard Thorn, A walk in the june sun)
















la plage autour de l'ile
et, plus loin
l'océan

Georges Friedenkraft

















Ilots fracassés
Par millier dans l'océan
Paisible de l'été

Bashô

















adosssé à la montagne
les pieds dans l'océan
lisant

Vincent Hoarau

















dans le creux de l'oreille
un coquillage
me parle de toute la mer

Nassim

Joseph Raffael - Eternity
















premier plongeon
l'océan
me nettoie les os

Vincent Hoarau

















ce coeur qui réclame ceci ou cela
dans la mer
je relâche

Hosai

















sans être aimé
je suis en train de nager
vers le large

Shôshi Fugita









Sorin Riccardo - Big wave

toute la journée
sans un mot
le bruit des vagues

Santoka



















la mer
respire
de toutes ses marées

Cécile Cloutier

















ti guiguine la briz -
dann toute bann bransh filao
la mer i shante
un peu de brise
dans les branches des filaos
la mer chante

Monique Mérabet

















Seul face à l'océan
Dire bonjour à ceux qui se croient seul
De l'autre côté de l'océan

Thierry Cazals
















midnight sun
we watch the ocean
come and go

Annie Juhl

















longue journée ;
mes yeux sont fatigués
de regarder la mer

Taigi










Shiro Kasamatsu, Inamura

l'écume de l'eau
n'a jamais été aussi belle
heure du départ

isabel Asunsolo
















marée basse
l'appeler pour partager
l'océan
low tide
phoning her to share
the ocean

Mark Brager
















Mon ombre était triste
Quand je l'ai enlevée au sable
De la plage étincelante

My shadow was sad
When I took it from the sand
Of the gleaming beach

Richard Wright

















nuit noire.
le roulement des galets
quand la mer se retire

Vincent Hoarau


Takahashi Shotei, Beach

entre la nuit et l'océan
l'ourlet des vagues blanches

Vincent Hoarau

















la plage désertée
une autre gorgée de rhum
et la mer qui s'enflamme !

Vincent Hoarau

















Dans mes nuits
S'engouffre
L'océan

Alain Kervern


















sublime
dans la baie de Suma
les vagues pour oreiller

Ryôkan
















au bruit des vagues
trempé
dans l'obscurité

Santoka


















Au fond des flots
Repose une perle blanche.
Le vent peut souffler
La mer devenir furieuse
Je n'aurais de cesse que je l'ais prise.

Anonyme, 18eme s





La mer, le soir


Dans le silence
Le bateau dort,
Et bord sur bord
Il se balance


Seul à l'avant
Un petit mousse
D'une voix douce
Siffle le vent


Au couchant pâle
Et violet
Flotte un reflet
Dernier d'opale.


Sur le flots verts,
Par la soirée
Rose et moirée
Déjà couverts


Sa lueur joue
Comme un baiser
Vient se poser
Sur une joue


Puis brusquement,
Il fuit, s'efface
Et sur la face
Du firmament


Dans l'ombre claire,
On ne voit plus
Que le reflux
Crépusculaire


Les flots déteints
Ont sous la brise
La couleur grise
Des vieux étains.


Alors la veuve
Aux noirs cheveux
Se dit : - je veux
Faire l'épreuve


De mes écrins
Dans cette glace.
Et la nuit place
Parmi ses crins,


Sous ses longs voiles
Aux plis dormants
Les diamants
De ses étoiles.



La mer, le soir, Jean Richepin

mardi 28 juin 2011

sables





Henri Edmond Cross -La-plage-de-Baigne-cul




après la dune :
le sable éblouissant
et les cris des enfants






échassiers sur la plage -
le sable est bouillant
sous la plante des pieds






ici et là
le pied fouille le sable
pour un peu de fraîcheur






midi
les grains de sable s'infiltrent
dans la mie du sandwich






parfum de crème solaire -
deux ovales de sable
sur les fesses du bébé






sieste -
trois grains de sable noir
entre ses grains de beauté






bain de pied -
l'ombre oscillante de l'eau
sur le sable clair


Henri-Edmond Cross - Les îles d'or






à chaque vague
des montagnes nouvelles
sur le sable






fraicheur du soir
le lent mouvement de la mer
entre mes orteils






soir sur le parking -
obstinément le sable colle
à la plante des pieds






fraicheur !
le sable et le sel chassés
par l'eau de la douche






*






Le soir en se retirant
les vagues laissent sur le sable
mille éclats de lumière ...
mes amis repartis
mon sourire s'attarde un peu






solitude
le sable glisse entre mes doigts
encore et encore







lune d'été-
au bout de la plage blanche
un grand trou noir







sable

*









Sable, sable, sable -
une dune
dans ma chaussure

Paul de Maricourt









*









l'ombre d'une mouette
surfe sur le sable









Daniel Py









*








sable chaud -
compléter le sourire avec
des coquillages blancs

Heike Gewi









*










sandcastle -
everybody smiling
for the shot

Horst Ludwig









*









Petits-enfants
tassant un tunnel de sable
la marée monte

Grandchildren
tapping a sand tunnel
the tide is rising

Shigejo Ogami









*










parure estivale
quelques grains se sable brillent
au creux de ses seins

Danièle Duteil









*










chaleur soudaine
du sable
jusque dans les draps










Danièle Duteil










*









pieds nus
sur le sable encore chaud
du crépuscule

Marlène Alexa









*










"le monde est foutu"
dit-il - et il plonge son tison
dans le sable

Paul de Maricourt







*

Sable

Si je fais couler du sable
De ma main gauche à ma paume droite,

C'est bien sûr pour le plaisir
De toucher la pierre devenue poudre,

Mais c'est aussi et davantage
Pour donner du corps au temps,

Pour ainsi sentir le temps
Couler, s'écouler

Et aussi le faire
Revenir en arrière, se renier.

En faisant glisser du sable,
J'écris un poème contre le temps.


Guillevic, Art poétique

lundi 27 juin 2011

En prison


Chen Hongqing

En prison

En prison
les nuages prennent de l'importance
et les oiseaux

In prison
the clouds become important
and the birds

Dennis Brutus








*







Quittant la prison
personne au portail
le rossignol

Leaving jail
nobody at the gate
nightingale

Hidehito Yasui







*







les barbelés sont hauts
les lumières des baraquements
s'éteignent, une à une

The wire fence is tall
the lights in the prison barracks
flick off, one by one

Etheridge Knight








*







La tour de garde est
brille dans le couchant; les détenus
comme des lézards sur les rochers

Easter guard tower
glints in sunset ; convicts rest
like lizards on rocks

Etheridge Knight









*








Dans mes vêtements de prison
aux manches trop courtes
j'ai l'air innocent

In my prisonner clothes
with their too short sleeves
I look innocent

Hashimoto Mudô







*







Emergeant de sa prison
leur dragon notre papillon
Si large son sourire

Emerging from jail
Their dragon our butterfly
His smile is so huge

Kalamu Ya Salaam, à propos de Nelson Mandela







*







cette geôle noire
avec ses barreaux couverts de neige
c'est la mienne

this black jail
with its snow-covered barrels
it is mine

Vincent Hoarau (d'après un poème d'Aimé Césaire)







*







de ma geôle
les cerisiers
en fleurs

from my jail
the cherry tree
in bloom

Santoka







*

Rue Jean Dolent

Rue Jean Dolent par un beau soir de printemps

alors que dans le ciel pu le chiffon du crépuscule

frotte l'étain d'une lune presque pleine

les fenêtres des cellules sont éclairées

au dernier étage de la prison de la Santé

et les cris des martinets attisent peut être

(mais je le pense sans être à leur place)

le douloureux attrait du dehors chez les prisonniers

et d'un façon sans doute bien plus lancinante

qu'une télévision puisque de le bouillie sonore

s'échappe aussi d'une autre cellule plus basse.


La télévision propose une autre évasion

que la rugueuse réalité des martinets

mais c'est difficile à dire, à écrire,

ce que font peut être leurs cris stridents

quand la lumière s'allume dans la cellule

et que dehors il fait encore jour,

ces appels de tous les coins de l'espace

quand la distance qui ne peut être comblée

pointe le mauvais côté de la lorgnette

sur le point le plus aigu de la prison.


Les martinets mais tout aussi bien j'imagine,

une portière qui claque dans la rue,


le pensent-ils : « quelqu'un qui rentre chez soi »,


ou bien « quelqu'un qui sort et qui s'en va »,


le pensent-ils ? - du fond de leur cellule ?


Une portière qui claque dans la rue

ou encore des bruits de voix sur le trottoir

ou peut être des cris d'enfants qui passent

(rue Jean Dolent, il y a une école maternelle).

Ce doit être terrible, le dehors qui soudain cogne.

(...)


Jacques Lèbre, rue Jean Dolent, in Po&sie 122-123

dimanche 26 juin 2011

les vieux




Carmen Cru

les vieux

*







samedi matin -
reprise des hostilités
les mamies du marché

Vincent Hoarau









*









getting on in years
out of breath only
after brushing his teeth

David Cobb









*









giboulées -
la vieille
toujours aussi sèche

Philippe Quinta









*









Doté d'oreilles
qui n'entendent plus,
je vieillis

Hosaï









*









pas foutu
de faire passer le fil dans l'aiguille,
je regarde le ciel bleu

Hosaï









*









Vieillissant -
davantage de haïku
davantage de bouillon de navet

Kyoshi









*









Nonagénaire,
j'attends le printemps,
ignorant le dernier chiffre de mon âge

Midorijo Abé









*










j'ai oublié ma date de naissance.
Dans le vent,
mes chaussettes sèchent

Mme Kyôko Terada









*









tiens
je viens de perdre
une dent

Santoka









*









la lune s'est voilée
les nuages annoncent la pluie
mes vieux os aussi

Line Michaud









*









déjà mûre
beaucoup trop mûre
personne pour me ramasser

Moïsette Dufour









*









sous le menton
quatre nouveaux poils
toujours à épiler

Hélène Boissé









*









son dentier
sur la table
elle sourit

Neko









*









Vue de dos
la vieille bossue
a perdu la tête

Christophe Rohu









*







1871 (Emmanuel Brouillard)

on lui offrit Les Fêtes galantes
qu'elle détesta séance tenante
elle mit sa p'tite laine
se mit d'vantVerlaine
et fit sa grande dégoûtante


Emmanuel Brouillard, Trois claques à Balzac

samedi 25 juin 2011

théâtre

*







joyeuse rumeur
dans la salle obscure
avant les trois coups

Marlène Alexa








*

un jour mon prince viendra ...




ma fille, dans son premier rôle

*

ma cendrillon
vingt minutes avant la pièce
cherchant ses chaussures

my Cinderella
twenty minutes before the play
looking for her shoes

*

une scène

(La première voix est posée, polie, maniérée et prétentieuse; l’autre est rauque, méchante et dure.)


- Je suis ravi de vous voir
bel enfant vêtu de noir.

- Je ne suis pas un enfant
je suis un gros éléphant.

- Quelle est cette femme exquise
qui savoure des cerises?

- C’est un marchand de charbon
qui s’achète du savon.

- Ah! que j’aime entendre à l’aube
roucouler cette colombe!

- C’est un ivrogne qui boit
dans sa chambre sous le toit.

- Mets ta main dans ma main tendre
je t’aime ô ma fiancée!

- Je n’suis point vot’ fiancée
je suis vieille et j’suis pressée
laissez-moi passer!


Jean Tardieu

Théââââtre !

(sur le pas de la porte, avec bonhomie.)

Comment ça va sur la terre?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages?
- Ça flotte.

Et les volcans?
- Ça mijote.

Et les fleuves?
- Ça s'écoule.

Et le temps?
- Ça se déroule.

Et votre âme?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.


Jean Tardieu, Monsieur Monsieur

vendredi 24 juin 2011

la croix

« J'ai voulu vivre dans le pays où tu es, où les frontières sont abolies, mais toujours, je t'ai entendu ne rien me dire. Et j'ai alors préféré la mort à la vie. A cause de la vie. Comme si la mort était le pays où tu vivais, où tu ne mourrais plus. Comme si même la mort mourait. »


Sur la page 202 du Besoin de poème d'Yvon Le Men, un lecteur m'a précédé. Il a tracé devant ces lignes deux traits profonds au crayon de papier. Et, comme si cela ne suffisait pas à crier son cœur, il a placé, à la gauche de ces traits, une croix. Son exclamation muette. Sa confidence au livre. Sa résolution.

La croix disait « Je me suis arrêté là. J'ai souffert cette souffrance. Ce texte, c'est ma voix. Ces mots, ce sont mes larmes. Merci. »

Cette croix. Une déclaration de mort, gravée dans la chair du livre. Une promesse à son amour perdu. Comme autrefois peut être leurs cœurs entrelacés sur un tronc quelque part.

Cette croix. Une signature en bas de vie. La signature d'un vivant qui n' avait plus de mots. La signature d'un homme qui n'avait plus de nom.

Qu'est il advenu de ce lecteur, de cet amant, de de veuf, de ce pauvre cœur muet ? Et où est-il à présent ?


sans doute dans ce pays

au pays des frontières abolies

là où elle vit

et ne mourra plus.



Vincent Hoarau

jeudi 23 juin 2011

imagine (ébauche)

imagine un peu

le soleil est un verre de whisky posé sur la vitre du ciel
qui brûle à l'automne les entrailles de ta constellation
en hiver c'est une pastille au citron
une braise
au printemps l' oeil d'un geai
tache d'huile en été

tu vois ?
il suffit de

la Terre c'est une bulle de savon
parce que les continents glissent à sa surface comme des arcs-en-ciel
une bulle de savon
qu'une épine suffirait à ... plop ! tu vois


et pour tout le reste, c'est pareil :

le noyau de la terre est vert
d'où l'herbe

les océans sont des poumons
les fleuves des poulpes
les forêts la pluie
les routes des rêts
les chemins des trouées

les villes des croûtes séchées les mauvais jours
des papillotes les belles nuits

les villages des bateaux ancrés dans leur terroir

les maisons des coquilles
ou des fleurs c'est selon

le ramage des boîtes de nuit comme l'oiseau de paradis
et pour les jours de bureau on porte le costard corbeau

les voitures des oriflammes
ou des oripeaux

les cartes bleues des glaives
les rouge-à-lèvres amanites,
les enveloppes papillons, ...
(...)


et caetera jusqu'aux fourmis
qui sont gouttes de sang les jours de solitude
et des locomotives les jours d'espérance


tu vois ?
il suffit de
tu as le droit
tout est à toi


















*

Buvant seul sous la lune

Au milieu des fleurs, un pichet de vin
Buvant seul sans l'aide d'amis
Levant ma coupe, invitant la lune brillante
Mon ombre fait face et nous voilà trois
La lune, finalement, ne sait pas boire
L'ombre suit en vain mon corps
Compagne d'un instant la lune soutient l'ombre
S'amuser un moment, profitant du printemps
Je chante, la lune erre ça et là
Je danse, l'ombre s'élève au chant final
Un moment dégrisé, ensemble, nous nous réjouissons
Après l'ivresse, chacun se quitte et se disperse
Unis perpétuellement, faisant route sans amour
Convenons ensemble d'une retrouvaille, lointaine Voie lactée

Li Po, L'Exilé du Ciel

si tu as besoin de neige ...

si tu as besoin de neige
au printemps
ouvre un livre

si tu as besoin de printemps
au printemps
ouvre la fenêtre

Yvon Le Men








*









Matin du nouvel an
l'an passé brûle encore
dans le poêle

Hino Sôjô









*









fleur de mûrier
d'un rose
si gris

genêt presque trop jaune

Yvon Le Men









*









Deux bouteilles vertes
Qu'attire le centre de la terre
Et que retient la lumière

Guillevic









*









une mare s'est formée devant la fenêtre
une mésange s'y baigne
comme si cet instant était là depuis toujours


Yvon Le Men










*










à la fenêtre
de la bibliothèque
l'oeil rond des pigeons








*








dans le grincement régulier
du berceau
le soleil se couche








*








par un soir d'été
le bébé lâche un soupir
un nuage bleu







*








au grincement du berceau
répondent dans le soir
les hirondelles

vincent Hoarau








*

du vin et du richepin

Ouf ! j’ai soif comme si je mâchais de la laine…
Allons ! donne l’avoine à mon gosier fourbu.
Du vin ! nous faut du vin ! Je veux que mon haleine
Suffise pour soûler ceux qui n’auront pas bu.

Je veux qu’en me voyant le Panthéon recule,
Craignant d’être écrasé par mon choc, et je veux
Faire ce soir le jour après le crépuscule,
Grâce au soleil dont les rayons sont mes cheveux.

Tiens ! Prenons l’omnibus, tout couvert de gens ternes
Qui par mon flamboiement vont être illuminés.
Le vieux cocher, prenant mes yeux pour ses lanternes,
Allumera sa pipe aux braises de mon nez..

De l’Odéon pensif aux tristes Batignolles
Nous irons. Telle va la comète qui luit !
Chez le mastroquet gras qui vend des attignoles
Nous boirons du vin doux qui fait pisser la nuit.

Nous pisserons, très beaux, très heureux et très dignes,
Nous appuyant du front au mur éclaboussé,
Et les Batignollais verront un jour des vignes
Fleurir du mur où nous aurons pissé.
.
.
Jean Richepin, Chanson des Gueux

colère noire (tanka)


*




Dans l'air chaud du soir
accumulés tout le jour
les pleurs du bébé -
le ciel aussi libère
une colère noire.




*

Marine

(Ivan Constantinovich Aivazovski)

*

L’océan sonore

Palpite sous l’œil

De la lune en deuil

Et palpite encore,


Tandis qu’un éclair

Brutal et sinistre

Fend le ciel de bistre

D’un long zigzag clair,


Et que chaque lame

En bonds convulsifs

Le long des récifs

Va, vient, luit et clame,


Et qu’au firmament,

Où l’ouragan erre,

Rugit le tonnerre

Formidablement.


Marine, Paul Verlaine, Poèmes saturniens

mercredi 22 juin 2011