"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




mardi 12 octobre 2010

Festival de l'AFH


La semaine dernière était organisé dans ma belle ville de Lyon le Festival international du haiku francophone. Celui-ci était inauguré par une lecture publique à l'auditorium de la bibliothèque de la Part-Dieu à laquelle je participais, en compagnie de grands auteurs de haïku. Le jeune haijin que je suis a donc été passablement intimidé. Lire en public était déjà une épreuve en soi. Mais lire mes propres haiku à ce parterre de connaisseurs, parmi lesquels figuraient un grand nombre des poètes que j'admire, ma gorge en était toute nouée.


J'ai donc usé de la même stratégie que lorsque j'ai sauté à l'élastique. Ne pense pas. Jète toi dans le vide. Et réfléchis après.


Nous avions chacun choisi une saison. J'avais quant à moi opté pour l'été. Comme il avait été décidé que les autres auteurs liraient leurs textes en français et dans une autre langue (espagnol, anglais, allemand), j'ai décidé de lire une partie de mes haiku en créole.

Les textes que j'ai lu sont les suivants :



cinq heures du mat'
remontant l'avenue déserte
le parfum du lilas
five in the morning -
going up the empty avenue
scent of lilac





*




pause déjeuner -
je m'allonge pour regarder
les abeilles au travail
lèr gouté
mi alonz atèr pou rogard
moush a myel travail
lunch break -
i lie down to watch
the bees at work





*




un peu de soleil
un peu de pluie
sur les pomélos mûrs
in ti guiguin soley
in ti guiguin la pli
si pamplemous mir
a bit of sun
a bit of rain
on the grapefruits





*




enfin l'été!
le ventilateur souffle
une année de poussière
summer at last!
the fan blows
a whole year's dust





*




"oté, ou lé mèg don!"
disait-elle en servant le cari
ma tante malade
"comme tu es maigre!"
tédi mon matant malad
kan té serv amwin cari
"how skinny you are! "
she said serving the cari
my ill aunt





*




une peau de pêche
glisse doucement
- parfum d'été
slowly sliding
a peach peel
- summer perfume





*




quelle chaleur!
sur le portail vert
la peinture fraîche
it's hot!
on the green gate :
fresh paint





*




où était-ce
cet alambic suintant
le lourd parfum du vétyver?
ousa lété sa
so lalanbik i transpir
lodèr lour vétivèr?
where was it
this still that oozed
the heavy perfume of vetiver ?





*




canne à sucre :
l'enfant perdu sur une route
mâche ses racines
kann bonbon :
marmay la pèrd shomin
i mastik son rasine
sugar-cane :
lost on a road, a kid
chews his roots





*




sur la pierre chaude
où disparut le lézard
poser la main

(en hommage à Jean Féron)
on the warm stone
where the lizard has vanished
i lay my hand

(dedicated to Jean Féron)





*






dimanche d'août -
une éolienne
au ralenti
sunday in august -
a windmill
idling





*




loin de la mer et de ses mouettes
mon champs de lavande
et ses papillons blancs
far from the sea and its seagulls
my lavander field
with its white butterflies





*




sur le ballon qui dérive
une libellule bleue
fait une pause
on a drifting ball
a blue dragonfly
takes a break





*




la rivière est fraîche -
sept petits papillons bleus
sur le bikini
fresh river -
seven little blue butterflies
on the bikini






*




ciel de plomb -
la robe blanche de l'enfant
s'en moque
syel an plon
la rob marmay la
lé pala ek sa
lead sky -
the child's white dress
doesn't care





*




fraicheur du soir
le lent mouvement de la mer
entre mes orteils
freshèr tibrïne
la mer i koul dousman
autour mon dwadpié
evening coolness -
the slow motion of the sea
between my toes





*




à son cocktail
le couchant ajoute
une rondelle orange
the sunset
adding an orange slice
to his cocktail





*




la plage désertée -
une autre gorgée de rhum
et la mer qui s'enflamme!
tousèl si bord'mer -
ankor in tikou d'romm
la mer i pèt an flamm!
deserted beach -
another draught of rhum
and the sea takes fire!






*




baignoire
une grenouille en plastique plonge
bruits de l'eau
bath tub -
a plastic frog jumps
the sound of water





*




vieil homme
un papillon de nuit
en bouton de chemise
old man
with a moth
as a shirt's button





*




tué
dans les pages d'un roman noir
le moustique
killed
in a thriller book
the mosquito





*




Voie Lactée ...
sur son dos blanc je compte
les grains de beauté
voi lakté ...
si son blan mi kont
tash kodèn
Milky Way ...
on her white back i count
the beauty spots





*






nuit chaude
chuchotements
du linge et de la peau
hot night
sheets and skin
whispering





*




enfuie
avant que j'ouvre la bouche
l'étoile filante!
la shapé
avan mon boush i rouv
la komèt!
gone
before i open my mouth
the shooting star !





*




une tombe
cachée dans l'ombre tiède
des filaos
in tommb
kashyèt dan dousèr lombraz
filao
a tomb
hidden in the warm shadow
of a she-oak






*




A la suite de cette lecture, il y eu des rencontres. De belles rencontres avec de grands auteurs. De riches échanges avec des passionnés. Chaque soir, je suis revenu chez moi le coeur chantant.

La grande haijin Madoka Mayuzumi nous a fait l'honneur d'une conférence sur le haïku. Elle a évoqué ce concept ,nouveau pour moi, du haien, le "lien par le haiku" qui unit les haijin dans une relation particulière. Au cours de ces quelques jours de festival, j'ai pu à maintes reprises sentir ce lien. Discussions, promenades-haiku, ateliers, kukai et lectures furent autant d'occasions d'échanger, à partir des haiku de chacun, des sentiments personnels et des pensées intimes. Le haiku, parce qu'il nous amène à nous dévoiler, à nous mettre à nu devant l'autre, parce que cet autre fait de même et qu'il ne s'en trouve jamais aucun dans l'assemblée pour ricaner ou dénigrer, le haiku fait naître - c'est le sentiment que j'ai eu - une forme d'amitié, un lien nouveau entre ceux qui acceptent de partager.

je l'entend
passer d'un arbre à l'autre
le murmure du vent


Le dernier soir, rentrant chez moi, je me sens envahi par une sorte d'euphorie que je n'avais jusqu'à lors ressenti qu'après des rendez-vous amoureux. Une vague de joie qui me fais sourire comme un benêt. Le soleil caresse toutes les rues où je passe et partout dans ces rues, je sens l'amour sous toutes ses formes. Je le sens entre ces deux jeunes jeunes filles qui s'amusent sur leur vélo. Je le sens chez ces deux parents qui saluent leur enfant sur le carroussel. Je le sens dans ce vieux couple assis sur ce banc. Je le sens partout. Et je me sens bien. Le haïku a cette magie, qu'il fait apparaître ce qu'il y a de bon en l'homme. Et c'est plein de ce sentiment que je remonte les quais et le boulevard qui me mènent chez moi, avec dans le coeur cette envie puissante d'embrasser chaque passant.

le haïku
le haiku peu à peu
le haiku peu à peu me guérit
de ma misanthropie

Bien sûr, ce sentiment sera de courte durée. J'en ai déjà fait l'expérience. Mais je le goûte tant qu'il dure, ne sachant trop si j'ai envie de rire ou de pleurer.

La difficulté, comme toujours, sera de ne pas laisser le quotidien me tirer à nouveau vers le bas. De ne pas laisser les méchancetés et les petitesses de l'homme me noircir le coeur et le flêtrir comme un vieux fruit. De me rappeler les choses qui comptent et celles qui sont dérisoires. De me servir du haïku pour ouvrir les yeux tout en prenant du recul.

C'est là un combat de chaque jour.

festival de poésie -
de retour, dans la boîte aux lettres
la facture d'E.D.F.