"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




vendredi 29 juillet 2011

dans les blés

*

















dans les blés d'or
ma petite tête brune
un pou

















*

















dans le blé
fauché
sur la paille
baignant dans l'or

















*
















dans les blés
un long débat
entre père et fille :
dragon ou fée
ce nuage ?

















*

















c'est un jour où l'enfant en robe blanche court dans les blés
à la poursuite d'un papillon
que ses deux mains imitent
je peux voir le sourire bienveillant que les oiseaux posent sur elle
je peux entendre le rire étouffé des nuages
les cigales dresser un mur de paix
rien en ce jour
rien n'oserait porter une ombre
ni sur les cigales ni sur les nuages ni sur les oiseaux
ni sur les mains blanches ni sur les piérides
ni sur la robe blanche
ni dans ses yeux
car voyez-vous une enfant
une enfant qui rit dans les blés
est toute-puissante















*


blés

*















sous un ciel très bleu
au parfum de blés fauchés
ne faisant rien
















des colonies de vacances
me revient surtout
l'odeur des blés
















*



les yeux du boulanger

Les blés gonflent les champs
Gonflent les pains
Et crèvent les yeux blanchis à la nuit
Du boulanger

Yvon Le Men

mardi 26 juillet 2011

le chant

Que peut faire le feu
s'il n'a pas le bois pour le nourrir ?
Que peut faire le mot
S'il n'a pas la voix pour voyager ?

Le chant seul
Te sauve de la pésanteur


Yvon Le Men, Le Jardin des tempêtes

dimanche 24 juillet 2011

Svetlana Marisova

Aujourd'hui j'entame une série de pages en l'honneur de mes haijins favoris.


Je commence avec Svetlana Marisova, une haijin néo-zélandaise rencontrée sur Facebook. Un article de Robert D Wilson, paru dans la revue Simply Haiku (http://simplyhaiku.theartofhaiku.com/summer-2011/simply-haiku/featured-haiku-poet-svetlana-marisova.html) nous la présente après l'introduction suivante :

"Il me revient de présenter cinq poètes de haïku dans la section haïku de Simply Haiku, afin de vous donner un aperçu de leur style et de leur vision. Il est assez classique pour un journal de présenter un ou deux haïku d'un même poète, cependant cela empêche le lecteur d'être en mesure d'appréhender son œuvre et d'apprendre de lui. Écrire le haïku n'est pas un passe-temps, c'est un chemin à prendre au sérieux. Quand je lis des haïku dans des publications en ligne, la plupart sont faibles, ne sont pas mémorables et disent peu.

Ce qui me surprend, c'est que certain poètes de haïku, après seulement un an de pratique occasionnelle, se sentent prêts à auto-publier leur livre de haïku. Soit ils sont savants, soit ils ont été amenés à penser qu'ils sont des poètes d'élite méritant une large base de fans. On ne maîtrise pas le haïku en quelques courts mois, ni même un an ou deux ou trois. Imaginez une personne qui prendrait des cours de formation à la peinture et qui, se sentant assez bon pour avoir sa propre exposition, s'y préparant, enverrait des photographies de ses peintures à diverses galeries d'art afin qu'elles envisagent de l'exposer; ou bien un adolescent qui prendrait des leçons de guitare pendant une année et enverrait des enregistrements à des majors de musique, se sentait prêt à devenir une star.

L'art est le produit d'un travail acharné, de la pratique, de l'étude, et du paiement de sa cotisation. Les journaux littéraire sérieux ne sont pas une vitrine pour amateurs. Quand ils le deviennent, ils perdent leur pertinence, et deviennent une autre de ces publications classées sous la rubrique : quand on en a vu un, on les a tous vus ... Peut être est-ce pour cette raison que la plupart des publications ne présentent qu'un ou deux haïku du même poète."


Personnellement, je trouve ces propos un peu durs et pour tout dire même un peu condescendants. Ils ne correspondent pas à ma vision du haïku qui est pour moi un art populaire ouvert à tous, enfants ou vieillards, riches ou pauvres, experts ou débutants, lesquels ont tous un droit égal à l'expression. Le poète talentueux sortira de toutes façons du lot, sans effort aucun, comme une pépite jaillit de la roche. Cela ne doit en rien empêcher les auteurs moins doués d'écrire des haïku si le cœur les y appelle. D'aucuns sentent le haïku de façon immédiate, d'autres se perfectionnent avec le temps, d'autres encore ne le comprendront jamais. Pour ces derniers, le travail le plus acharné ne sert à rien. Parmi tous ces auteurs de haïku, il en est aussi des géniaux qui, travailleurs ou inspirés, sont capables de ciseler des merveilles avec une facilité époustouflante. Ce qui nous amène à Svetlana Marisova :

Je ne sacrifierai pas la quantité à la qualité. En parlant de ça, Svetlana Marisova, nouvelle Editrice de Tanka et Webmaster de Simply Haïku, est une poète de haïku qui mérite une plus large attention. Elle prend son art sérieusement, lisant, étudiant, écrivant, éditant, ré-écrivant, affamée de grandir en tant que poète, et jamais satisfaite des poèmes qu'elle achève. Elle n'est pas un membre du troupeau, suivant le chef, fasciné par le joueur de flûte de Hamelin. Sa voix à elle est fraîche (...) Une fois encore elle a proposé plusieurs haïku. A quelques exceptions prêt, la plupart méritaient d'être exposés. Après en avoir discuté avec Sasa Vasic, nous avons décidé de faire une exception en ce qui concerne la règle des 5 haïku par présentation.

Lisez les haïkus de Svetlana Marisova. Ses haïkus sont un exemple éclatant de la qualité des haïkus que publie Simply Haïku."

Je m'arrête un instant sur ces propos. Au fur et à mesure que je traduis ce passage, je suis en effet frappé par leur virulence et leur arrogance. Voilà des termes qui ne me donnent guère envie d'aller creuser plus loin dans cette revue. J'irais - je le sais - toutefois, plus par curiosité envers plusieurs auteurs dont j'apprécie l'écriture que par intérêt pour ce type de commentateurs.


floating downstream - 4 syllables (short)
the burden of my shadow 7 syllables (long)
on a mayfly 4 syllables (short)

dérivant - / le fardeau de mon ombre / sur une éphémère

Le poème de Marisova répond à un processus de haïku biaisé, dans la lignée des enseignements de Bashô. Marisova fait bon usage du yugen fait de teintes et de suggestions, à l'opposé du "tout dire". De la même façon, le poète utilise ma (chambre de rêve) (???). Ces deux styles esthétiques jouent un rôle important dans la façon de remonter le non-dit à la surface. C'est la danse du non-dit avec le dit combinée avec un haïku qui laisse de la place aux interprétations multiples. Marisova se sert très bien des styles japonais (outils esthétiques) qui transforment le haïku en un medium qui dit beaucoup avec peu , par sa capacité à suggérer, teinter, couplée à une bonne compréhension du kigo.

Voici les mots qu'écrivait l'artiste Tosa Mituoki (1617-1691) à propos de la peinture, et qui s'appliquent aussi au haïku :

"Ne remplit pas toute l'image de lignes; applique aussi des couleurs en touches légères. Une certaine imperfection dans le dessin est souhaitable. Tu ne devrais pas remplir plus d'un tiers de l'arrière-plan. Comme tu le ferais si tu écrivais de la poésie, prends soin de conserver quelque chose. Le spectateur aussi doit y amener quelque chose. Si l'on intègre du vide à l'image, alors l'esprit le remplira."

Regardez attentivement ce haïku de Marisova. Elle ne dit pas tout, encourageant l'interprétation de ses haïku, l'exploration des corrélations entre ses mots et le Dao (chemin).

swan song ...
the limb-loosening rush
of dark feathers

chant du cygne ... / l'élan aux membres relâchés / des plumes sombres

L'utilisation de la juxtaposition par Marisova est créative, et bien pensée, laissant les lecteurs avec un mystère à interpréter en fonction de la mémoire culturelle, de l'enseignement et de l'éducation parentale tirés de l'expérience de chacun. Pourquoi l'élan ? Est-ce un cygne blanc attaqué par un prédateur aux ailes noires ? Le cygne est il lui même un de ces rares cygnes noirs et si oui, quelle est la cause de son empressement ? L'utilisation de "chant du cygne" pour commencer le haïku lui ajoute de la profondeur. Bien que le chant du cygne soit communément associé à une sérénité poétique, une juxtaposition efficace placera les opposés ensemble de façon à stimuler une pensée qui puisse composer une image entièrement différente.

Seule un haïku correctement écrit utilisant des outils esthétiques peut exprimer autant avec si peu. Svetlana Marisova fait bon usage de ses outils. Le zoka, pouvoir créatif de la nature, sculpte tout ce qui n'est pas fait de la main de l'homme. Il est imprévisible, jamais statique et d'un nombre de variables infini.

A votre tour maintenant. Lisez chaque haïku une première fois. Puis relisez chacun une deuxième fois. Que vous dit chacun de ces haïku ? Souvenez-vous, votre tache ne consiste pas à imaginer ce qu'est l'interprétation de Marisova. Vous l’interprétez, vous finissez le haïku avec vos propres interprétations. Ce faisant, chaque haïku devient un poème vivant, sans commencement ni fin, transcendant l'évidence, touchant profondément vos terminaisons synaptiques.


falling leaf,
do you forget
your roots?

feuille qui tombe, / oublies-tu / tes racines ?

first light ...
for a moment all colour
is this

première lumière ... / pour un instant toute couleur / est celle-ci

silent dance ...
the distance between,
pulsing in time

autumn rain -
the colour of birdsong
smudging

pluie d'automne - / la couleur des chants d'oiseaux / maculée

morphine ...
again my dreams
submerging

morphine ... / une fois encore mes rêves / submergés

pearl diving ...
haiku and tumours
from the depths

plongée aux perles ... / les haïkus et les tumeurs / des profondeurs

in the wind
what might have been ...
sleepless moon

dans le vent / ce qui aurait pu être ... / lune sans sommeil

the universe
suddenly personal ...
newborn child

l'univers / soudain personnel ... / nouveau-né


La traduction ampute ici doublement aux haïkus originels puisque d'une part, elle révèle ma propre interprétation de ces poèmes et que d'autre part, elle est - par le fait même de la traduction - infidèle. A fortiori à partir de la langue anglaise qui est si concise et si pratique. Néanmoins, on obtient une idée du style propre à Marisova, qui procède par la juxtaposition d'images, l'allusion, la suggestion et la concision. C'est sans doute ce qui me plait le plus dans son écriture, ce mystère permanent, ces lignes flous, cette souffrance et cette beauté, ces mots qui disent souvent la douleur, l'éphémère, l'émerveillement et l'urgence. C'est vers cette forme d'écriture que je me sens de plus en plus appelé, même si parfois je suis également subjugué par d'autres haïkus pétris ceux-là d'évidence, de simplicité, d'humilité et de quotidien.


Je poursuis par un aperçu des haïkus de Svetlana Marisova, traduits du mieux que j'ai pu.


winter gloom
staunching the flow
of light

morosité hivernale / endiguant le flux / de la lumière

twilight -
the chrysalis
forming

crépuscule - / la chrysalide / prenant forme

day by day
baptismal rain ...
open hands

jour après jour / la pluie baptismale ... / mains ouvertes

the colour
of the blackbird's song ...
winter warmth

la couleur / dans le chant du merle ... / chaleur hivernale

this raindrop
clinging to a leaf
all day long

cette goutte de pluie / s'accrochant à une feuille / le jour durant

Celui-ci est particulièrement émouvant. Svetlana Marisova est en effet sur le point de subir une opération chirurgicale en Russie, suite à une tumeur au cerveau. Ses poèmes sont empreints d'une grande tristesse, de ce profond attachement à la vie, de cette urgence, de cette soif d'images et d'amour.

juicy apple
and at the core
half a worm

une pomme juteuse / et au cœur / la moitié d'un ver

leave-taking
blinded with tears ...
winter smoke

prenant congé / aveuglée par les larmes ... / fumée hivernale

cold morning ...
reality drifts back
as a dream

matin froid ... / la réalité reflue / comme un rêve

dancing alone
in the twilight
a shadow

dansant seule / dans le crépuscule / une ombre

winter chill ...
some bird singing
her heart out

froid de l'hiver ... / quelque oiseau chantant / de tout son cœur

(ici la traduction ne rend pas l'idée, to sing out signifiant "parler fort", "se faire entendre" en même temps que l'image vient d'un personnage s'arrachant le cœur pour le donner)

from my dreams
distant rumbling ...
spider web

de mes rêves / le roulement lointain ... / toile d'araignée

morning chill ...
my breath merges
with the mist

froid du matin ... / mon souffle se fond / dans le brouillard


you ask
"what's on my mind?"
errant breeze


tu demandes / "à quoi je pense ?" / brise errante

winter chill -
still this outburst
of flowers!


froid de l'hiver - / pourtant cette explosion / de fleurs!

dormant seed,
why must you sprout
so early?


graine endormie, / pourquoi dois-tu germer / si tôt ?

wintry sky ...
these dark tumours
draining light


ciel hivernal ... / ces tumeurs noires / drainant la lumière

snow blanket ...
veiling the fire
within


couverture de neige ... / voilant le feu / à l'intérieur


these dark ages ...
sand waders gathering
before dawn

ces âges sombres ... / les échassiers se rassemblent / avant l'aube

Voici mon interpétation (toute personnelle) de celui-ci : dans cette période sombre où l'auteur s'apprête à affronter la mort, ses amis se rassemblent autour d'elle pour lui dire adieu et lui souhaiter bonne chance. Vient l'aube, le moment du départ et sa profonde tristesse. Mais on pourrait tout aussi bien imaginer les pluviers en tant que créatures de la nuit, venues, tels des vautours, profiter de son repos et de sa faiblesse. Tout est ici question de point de vue.

Bonne chance, Svetlana. Nos meilleures pensées t'accompagnent.


Kaikoura beach -
les puffins fuligineux
au grand complet

plage de Kaikoura -
the Sooty Cheerwaters*
in full

(*Shearwaters)

à l'ombre des sophoras ...


fuyant la chaleur, je bois légèrement et m'endors
profondément jusqu'au crépuscule

l'ombre des sophoras et des paulownias remplit presque la véranda avec un bonnet en soie bleue et un éventail en plumes la fraîcheur naît spontanément

du nectar de jade récemment filtré je dispose deux coupes,

sur une natte en bambou bien étalée où s'allonger à l'aise

un homme à cheval est venu de loin pour m'apporter des litchis de cinabre

dans une grande bassine d'eau froide trempe une pastèque émeraude parfumée

qui osera dire que vivre retiré au bord d'un lac est misérable ?

j'aime particulièrement les longues journées d'été interminables


Lu Yu

vendredi 22 juillet 2011

la boîte à virgules

j'ai rangé toute ma ponctuation dans une boîte à outils
elle m'encombrait
des quantités de points, de virgules et de points-virgules
que j'ai jetés en vrac avec la plupart de mes tirets
mais surtout toutes les majuscules
qui commençaient à prendre trop de place
sur les étagères de mes poèmes
s'affaissant sous leur poids
il ne me reste plus à présent
qu'une quantité de clous
pour planter mes colères et mes émerveillements
un petit crochet
pour suspendre les mystères
et les questions en attente
et aussi les trois petits points
les trois petites clefs dont on se sert
pour ouvrir les horizons
mais j'ai surtout gardé un point
un seul
un point pas plus gros qu'une tête d'épingle
ou que l'homme sur l'horizon
juste avant qu'il ne soit plus rien
ce petit point
le point final
je le garde précieusement
pour plus tard
quand le moment sera venu
le point du jour
de la fin


Vincent Hoarau

orties

orties & ronces



*















vieux tronc
les orties me laissent
une petite place















soleil vif !
une ronce griffe
le ciel d'automne















les orties et les ronces
dans la douce chaleur
du soleil d'automne















solitude ...
la piqûre
d'une ortie















bientôt l'hiver -
la haie se hérisse
de ronces et d'orties















lendemain d'orage
dans l'air chaud de midi
les orties prospèrent















à l'orée du bois
en embuscade
les orties !















la ronce
qui m'a griffé cet automne
m'offre sa première fleur















lendemain d'orage
les orties
en colliers de perles















au plus profond
des ronces de mûriers
les plus belles prises















loin des regards
les orties mal aimées
osent fleurir















dans mon refuge
le bourdon aime aussi
les fleurs d'orties












*

j'aime l'araignée et j'aime l'ortie

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux ;

Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.

Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !

Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,


Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !



Victor Hugo, les Contemplations

jeudi 21 juillet 2011

avions

*















hall d'embarquement -
sa petite tête blonde
disparait à droite















embarquement porte 7
un jeune couple
se déchire















dans le couloir
qui mène à l 'avion
le pas s'accélère















vaste ciel d'été
les étourneaux plus rapides
que l'avion















attente en avion
écrire un haïku
sur un sac à vomi















ses ailes mouillées
par la pluie parisienne
étincellent au soleil !















atterrissage
sur la piste enneigée
la première guirlande















la porte de l'avion
entre un hémisphère
et l'autre















après la douane
après les bagages
l'odeur de la mer!















*















Aéroport de Gillot -
sa valise pleine à craquer
de parfums















hall des arrivées -
leurs visages, un à un
s'illuminent















hall des arrivées
les manteaux noirs accueillent
les t-shirts colorés














*

le vol des hippopotames

Faire voler du plus lourd que l'air était un rêve génial et fou. Voir à terre ces Jumbo Jets aussi graciles que des hippopotames provoque un sentiment d'admiration pour l'intrépidité de l'esprit humain - et la puissance des moteurs. A l'intérieur, c'est le goût du profit qui a repris ses droits : on est aussi serrés que des cailloux sur une route. Charter. Charretée. Je ne connais pas mes voisins de rangée. C'est seulement si l'avion s'écrase que nous aurons un destin commun ...



Jean-Claude Martin, Ciels de miel et d'orties.

La république des poètes

Je fais miennes les paroles de Bruno Doucey, dans son avant-propos de l'édition 2008 de la revue l'Année poétique.


« A l'heure où la France se dote d'un ministère de l'Identité nationale, nous sommes heureux de pouvoir dire à ces poètes venus d'ailleurs : « soyez les bienvenus, ce livre est le vôtre, cette langue est la vôtre, nous som
mes fiers de vous compter parmi nous ». La république des poètes et les tests ADN ne font pas bon ménage!

(...)


Oublions pour un temps étiquettes, matricules et hiérarchies, contrôle d'identité et sentiment d'appartenance, réflexes de supporter et tentation du communautarisme culturel pour retrouver cette passion que louaient les encyclopédistes du XVIIIeme : la papillonne. Lecteurs qui entrez dans ce livre, soyez avides de découvertes et de rencontres, chérissez la passion de la différence, soyez d'infatigables touche-à-tout, car tout se tient. Ce livre a été conçu pour ceux qui ont les yeux de la curiosité plus gros que le ventre du savoir. »

mercredi 20 juillet 2011

il pleut il mouille



la fête à la grenouille



*















Au sortir d'un rêve
des grenouilles j'entends
le chant lointain

Ryokan















Au chant du rossignol
La grenouille
Coasse

Shôha














under the house
all day long the frog sings
I work nights

James Rodriguez














Quelqu'un traverse le pont
Les grenouilles
Se taisent

Kokyo















footing d'été -
dans les herbes de l'étang
le rire des grenouilles

Vincent Hoarau















Hymnes bouddhiques
Dans le puits du temple
Des grenouilles chantent

Kanketsu

Les mains à plat sur le sol
Elle psalmodie son chant
La grenouille

Sôkan















Clameur de soldats
Sur le champ de bataille
Les grenouilles coassent

Shinsô
















Récurant la marmite
Le bruit se mêle
A celui des grenouilles

Ryokan
















Little frog screaming
In the ditch
At night fall

Jack Kerouac















fraîcheur du banc -
le vent du soir retransmet
un concert de grenouilles

Damien Gabriels















concert de grenouilles
silence
concert de grenouilles



Vincent Hoarau














one man tent
strumming my guitar
frog's chorus

Charlie Smith















les grenouilles du soir
ne se demandent jamais
si elles nous dérangent

Line Michaud















la pluie fouette
des grenouilles commencent à chanter
-soir

Kôdôjin
















Lueur de la chandelle
Nuit magnifique
Cris des grenouilles

Issa















écoutant la lune
épiant le chant des grenouilles
à la surface de la rizière

Buson















la lune voilée
le chant des grenouilles brouille
l'eau et le ciel

Buson














*





mardi 19 juillet 2011

Ciels de miel et d'ortie


Cinq poèmes tirés de Ciels de miel et d'orties, de Jean-Claude Martin.




Pas assez beau pour vivre ce matin. Pour mourir non plus ... Des trous bleus dans les nuages comme ceux que les esquimaux font dans la glace pour pêcher du poisson. Sommes nous les poissons ? Les pêcheurs ? Et quelle prise pouvons nous espérer ? ... Un jour stupide et lisse nous attend. Un de ceux dont on se demandera ce soir pourquoi toutes ces heures on a fermé les yeux.







*







Un ciel en équilibre. Entre l'effroi et la colère. Avec des lueurs bleues dans les yeux. Des sourcils noirs de doute. Son souffle est court et fétide comme celui d'un animal en inquiétude. On le sent accablé de secrets trop lourds, de désirs trop grands pour lui. Peut être ne prendra-t-il aucune décision ce soir encore ? Mais nous en avons assez de n'être rien dans son chagrin ou sa terreur, et qu'il nous noie de ses humeurs sans même savoir qu'on existe ...







*







Trop tard. Le crime avait déjà eu lieu. Des bandes de ciel déchiré traînaient sur l'horizon. Des zébrures de poignard rageur. Une immense tache de sang. On venait de faire disparaître le cadavre. Tout sentait encore sa présence : une certaine chaleur, un reste de lumière rose. L'assassin avait de puissants complices : une obscurité tenace commençait de brouiller les pistes, d'effacer les souvenirs. Qui avait intérêt à faire déjà la nuit ? Le plus terrible était de sentir combien tout cela nous dépassait ...







*







Parfois le soleil s'allume vers cinq heures. Vieux briquet dont on pensait qu'il ne marchait plus. Flamme pâle. Qui n'éclaire qu'elle même. L’œil d'un dormeur qui s'entrouvre ... et retourne à ses songes. Nous aussi, on se dorlote de brouillard. Malheur à celui qui fait un geste le premier ! La vie est douce quand elle n'existe pas ...







*

et celui-ci que j'ai trouvé très émouvant :






Il a de plus en plus de peine à dépasser les arbres. Vieillesse ? Lassitude ? C'est parce que les hommes ont fait un trou dans la forêt qu'on le voit encore. Un dieu qu'on peut regarder sans baisser les yeux est-il encore un dieu ? J'aime son humanité. Il ne nous protège plus, mais ne nous remplit pas d'effroi. Il ne nous réchauffe plus, mais nous est proche. Ne l'humilions pas avec nos feux, nos lampes, nos manteaux. Quand il vient, je l'écoute en silence et ma peine comme le brouillard s'efface peu à peu. Je le serre dans mes bras et c'est moi qui lui donne la lumière qu'il lui faut pour mourir.







Jean-Claude Martin

débacle

Aujourd'hui je m'essaie à un exercice poétique : écrire à la façon de Jean-Claude Martin dont je suis en train de lire le recueil Ciels de miel et d'ortie (Ed. Tarabuste)




Ce matin, une pluie froide et continue nous a fait comprendre qu'elle avait la ferme intention de durer tout le jour. Et en effet, toute la matinée, triomphante, elle a secoué les toits de bruits de tôle ininterrompus. Et puis midi a sonné. Comme un coup de clairon doré. Le soleil a sorti sa tête de gamin blond sauvage et déchiré les nuées d'éclats de rire en cascade. Une heure après, c'en était fini de ce colosse bouffi d'orgueil. Ses troupes clairsemées fuyaient aux quatre coins du ciel. Une armée entière mise en déroute par un enfant joufflu. A présent la terre transpire. Tout sèche tranquillement. Une dernière goutte tombe de mon parapluie. Et le soleil saute à pieds joints dans les flaques.



Vincent Hoarau

éclaircies

*















éclaircie -
un chat de gouttière
prend la fuite

Vincent Hoarau















éclaircie -
chante aussi
la Remington

Gilles Brulet















éclaircie -
un papillon blanc
secoue ses ailes

Vincent Hoarau















éclaircie -
deux seins sortis
avec elle

André Cayrel
















éclaircie -
la brise la feuille et le soleil
jouent avec une goutte

Vincent Hoarau











*

lundi 18 juillet 2011

tiédeur d'une nuit d'été


Couchée seule dans une chambre obscure
tiédeur d'une nuit d'été
flotte entre quatre murs

Fenêtre ouverte sur cour immobile
une femme gémit au loin
et son désir me parvient

par vagues

Dans le silence profond des secondes
monte monte
seul mot du monde
viens viens viens

Seule couché murs écartés
tiédeur d'une nuit d'été
couchée sur un océan obscur

Une femme jouit au loin
et le plaisir éclate
comme une grenade bien mûre



Azadée Nichapour, Parfois la beauté

Peinture : Kawase Hasui (Nonomiya Shrine, Kyoto)

loin de moi

*




Bientôt, je serai dans le ventre d'un de ces grands poissons qui traversent le ciel, menant grand bruit et fumée blanche. Je me verrai, pitoyable insecte courant sur la terre, effrayé par l'ombre du jardinier. Je ne me verrai pas. Je serais loin de moi.

Je volerai.



Jean Claude Martin, Ciels de miel et d'orties




*

nuages en lambeaux

*















nuages en lambeaux -
au bord de l'autoroute
un chaton inerte















*

longue journée immobile

*

















longue journée immobile
qui ne perdit pas même
une aiguille de pin

















*

haïkus étouffés


Wang Guangyi

béton armé

*














une pousse pâle -
partout autour
le béton armé

Vincent Hoarau














Résidence les Acacias ?
du béton, de l'acier
et un parking autour

Vincent Hoarau















le nouveau pont
dans un paysage de bleu
béton et ferraille

Amel Hamdi Smaoui















ville grise
un coin de ciel bleu
peint à la craie

Dominique Chipot















new skyscraper
erasing another piece
of my summer sky

Michi Umeda















retour du printemps
les grues s'animent à nouveau
entre les tours

Vincent Hoarau















là-bas
le néon des villes
éteint les étoiles

Marlène Alexa















mon coin de verdure
de plus en plus de détritus
à ramasser

Vincent Hoarau















gratte-ciels dressés
comme des tombes dans
le crachin

Michi Umeda















Je me range dans
le foule des hommes grossiers
puant la sueur

Shizunojo Takeshita















le rapace
en cercles au dessus
des HLM

Dominique Champollion















A force d'avoir serré ses maisons
Le faubourg s'est mis
En accordéon

Julien Vocance















déjà deux étages
à la place du jardin
des voisins

Marlène Alexa















Les autoroutes de Tokyo
ressemblent à des intestins
sous la pleine lune

Sei Imai















à l'ombre de l'usine
les mains abandonnées
un songe d'océan

Géraldine (?)















Au milieu des champs
l'odeur de peinture
de l'usine d'automobiles

Gilles Guilleron















Moteur en marche
devant le magasin bio
le gros 4x4

André Cayrel














toute la famille
sort du 4x4
marché de Noël

Vincent Hoarau














pluie sur l'autoroute
les 4x4 crachent
sur l'herbe du talus

Vincent Hoarau














jeune tilleul esseulé
dans la cour de l'usine
où nul de travaille plus

Roland Tixier














repos dominical
sa pelouse bien tondue
sa voiture bien propre

Vincent Hoarau















à deux pas
de l'hôpital décrépi
une banque neuve

Vincent Hoarau















au pied de la banque
entassés
les feuilles mortes

Vincent Hoarau















dans l'ombre froide
d'une vieille cathédrale
un petit minaret

Vincent Hoarau















Zone Artisanale -
le violoniste au carrefour
qui l'écoute ?

Vincent Hoarau















aube froide
les portes du métro
s'ouvrent aux fantômes

Vincent Hoarau















sur le quai du métro
quelques gouttes de sang
aube blême

Vincent Hoarau















touffeur du soir -
le vieux Noir du parc
choisit son banc

Vincent Hoarau















devant les mains tendues
du mendiant au carrefour
les essuie-glace

Vincent Hoarau















premières lueurs de l'aube
la neige bleutée
qu'ils souilleront bientôt

Vincent Hoarau















aube sous les palmiers
les yeux mi-clos des travailleurs
à l'arrêt de bus

Vincent Hoarau















banlieue
sur les tours il règne en maître
le corbeau

Vincent Hoarau















"bienvenue"
dit toujours le paillasson
jeté à la décharge

Thierry Cazals















Assise dans l'herbe et les fleurs
je me demande combien de temps
cela pourrait durer

Alicia














*

comment te sens-tu

"Comment te sens-tu de haïr ta ville
de voir en ta patrie une étrangère
qui te met la corde au cou
pour te pendre, comment te sens-tu
de haïr les gens qui l'habitent, les visages
misérables qui passent, les âmes
enragées, s'adonnant à la chasse
au gain illicite, immoral ? Comment
te sens-tu de haïr tes jours, et le temps
assassiné qui part dans le monstrueux
décor dressé autour de toi ?
Comment te sens-tu de te croire mort
ou mutilé, étranger aux affaires communes
incapable de rien faire, comment te sens-tu
de vouloir échapper à ta ville ?"

Mots trouvés sur un papier trempé
dans la poche revolver du noyé
tiré du fleuve profond
d'une ville étrangère. On ne savait pas
qui c'était, s'il s'agissait d'un crime
ou d'un suicide. On ne le sut que plus tard:
c'était un poète d'un pays qui souffre.

Ville marâtre, Michalis Pieris

dimanche 17 juillet 2011

Clifton Kahru - Rain in Kyoto

tristes pluies d'été

*















Averse d'été -
une femme solitaire
rêve à la fenêtre

Géraldine (?)















de la fenêtre
les ronds de pluie
de la piscine

Thierry Casasnovas















bière tiède -
il pleut
sur la piscine

Vincent Hoarau















pluie d'été
une grenouille seule
sur le quai

Richard Jodoin















Pluie d'été
les visages des statues
inondées de larmes

Horst Ludwig















Triste pluie d'été
Sous les toits de l'entrepôt
vieillit le saké

Shirobame















Il n'est pas venu -
cette pluie assourdissante ...
cette pluie

Dana-Maria Onica















Ce plateau-repas
pour moi seule -
lumière de la saison des pluies

Tsubaki Hoshino















Gouttes d'étoiles
aux vitres ce soir-là
l'ombre sanglote

Jean Legoff















sa tombe
plus intime
sous la pluie

Santoka (sur la tombe de Hosai)















dans le creux du O
sur la tombe
un reste de pluie

Dominique Chipot
















Nuit pluvieuse

Entrée de secours



Tu te couches avec la pluie
et l'étoile est ta bride.
Ton sommeil se fissure, se construit,
on l'entend dans l'autre monde.
Les grillons pirates apparaissent
pour chanter leurs dédicaces.
Kalliopi, Mihaïl, Elèni,
Chrysànthi, Katerina, Evthymià.
Peut-être sont ils morts
mais ils gardent leur secret.
Au réveil tu marmonnes encore
le refrain des pluies compatissantes.


Michalis Ganas

samedi 16 juillet 2011

parfums de pluie


Hashimoto Okiie - Stone Bridge


*















route désaffectée
l'odeur des gouttes
de la pluie d'été

Daniel Py















elle est retrouvée ...
quoi ? l'odeur de la terre
de la pluie d'été

André Cayrel















petits pas pressés
sous les lourdes frondaisons
l'odeur de la pluie

Monique Mérabet















averse matinale -
je referme mon livre
pour respirer la pluie

Damien Gabriels















trouvé un abri
un parfum de glycines
enveloppé de pluie

Vincent Hoarau















va-t-il pleuvoir ?
envahissant la maison
l'odeur des prunes

Gérard Dumon















Summer rain -
a new lover's scent
on my skin

Dietmar Tauchner















matin de pluie
les lilas blancs
encore plus lourds

Gérard Dumon















première goutte -
une odeur de poussière humide
sort de terre

Vincent Hoarau















pluie sur les toits
une odeur de vieux livres
sous les combles

Vincent Hoarau
















la pluie d'été
une envie pressante

Vincent Hoarau

















empreinte

*















sur le ponton
l'empreinte de mon pied nu
si vite absorbé ...
De cet amour d'un été
j'ai oublié le visage.















*

l'été craque

A quelle source faut-il aller chercher cela
qui vient sur la paume mouiller, annoncer
l'averse crépitante sur le ciel de poussière.
L'été craque comme un bateau que fatigue
le dernier voyage mais voilà, fraîche, l'eau
que la main n'enfermera pas : elle s'évade
pour le chemin de roche. Jamais personne
ne connaît le passage. Et c'est plus bas, là,
au creux improvisé des collines que chante
pour qui s'approche, ce peu qui brille, cristal
qu'à peine né, le temps déjà enfouit en terre.


Un filet d'eau, Bernard Moreau

vendredi 15 juillet 2011

2 häikus

*
















mon café
je touille
une galaxie

















seul
avec mon sandwich
l'abeille seule
avec sa fleur








*

les zombres

















l'ombre du pin
n'atteint pas la rivière
chaleur d'août

Daniel Py















pelouse rare -
l'ombre plus nette
du cerisier

Damien Gabriels















hiking trail
my shadow merges
with the oak's

Nora Wood















l'ombre du coq
aussi immobile que le coq
en haut de l'église

Sam Yada Cannarozzi















silence
dans la cour d'école jouent
les ombres du feuillage

Vincent Hoarau















midi
assis sur mon ombre

André Cayrel















nouveau logement
sur le mur de ma chambre
l'ombre du cerisier

Hélène Leclerc















soleil ardent
les charolaises en rond
dans l'ombre d'un chêne

Vincent Hoarau















Dans l'ombre quiète du balcon
le bonheur semble tendre
les bras

Jacques Canut















brise légère
l'ombre de sa main
caresse une feuille

Vincent Hoarau















Restée sous les feuillages,
ma figure
à moitié tachée d'ombres

Mme Takajo Mitsuhashi















l'ombre du pécher ...
impressions sur mon genou
de cinéma muet

isabel Asunsolo















allant et venant
sur la blancheur de ses cuisses
les ombres des feuilles

Dominique Champollion















le soleil dessine
une mosaïque
corps nu sous l'arbre

Joelle Delers















Fermer les rideaux
sur l'ardent et fier soleil
attendre le soir
qu'un courant d'ombre caresse
notre peau moite d'ennui

Philippe Quinta
















une nuit si chaude -
elle n'accepte sur son corps
que l'ombre de ma main

Vincent Hoarau















*

les zèbres

*








Lumière entre les lattes en bois
des persiennes d'hôtel mi-closes
à gauche sur la place de la gare
lumière qui tombait découpée en lanières
nous couvrant d'une peau de zèbres
et les deux zèbres luttaient dans la lumière et l'ombre
marqués de rayures blanches et noires en diagonales
par les phares des voitures
plongée noire et blanche dans ta chair.
Parfois je vois encore après tant d'années
des marques blanches et noires de zèbre sur ma peau
étant seul à l'hôtel dans une ville du bord de mer.


Titos Patrikios, les Zèbres








*