"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




mercredi 15 juin 2011

dans cette maison (poème inachevé)

dans cette maison






j'embrasse ma jeune femme devant l'Atlas du Monde





ma fille sourit aux oiseaux d'Hiroshige





l'éventail feuillette des anthologies







dans une cage s'entassent des grues en papier






les bocaux de pharmacie parfument le dictionnaire de latin





la plante verte étouffe le cendrier





le ventilateur fixe les fleurs au fauteuil





des roses grimpent un pied de lampe





la fougère dégringole aux goulots des bouteilles d'alcool





un brin de lavande caresse un flacon de sirop





une chemise sèche prend la pause face au miroir





les outils de l'établis se livrent une guerre sans merci





un groupe de fuchsias lit des albums pour enfants





mon bébé ensommeillé s'enfonce au Pays des merveilles





une plante voyage au centre de la Terre





les poupées russes se font petites à l'approche de la chaîne hi-fi




une pèche pourrit à l'angle d'un polar





le tire-bouchon sur le chéquier





un suppositoire sur une facture





le réveil et le téléphone
face à face
s'attendent





l' ordi ronfle sur le canapé





la fenêtre prête sa lumière au lustre





l'arrosoir se penche sur l'imprimante





un coucou muet surveille le parc





ma femme, éveillée, près de la sieste assassinée





les poètes de la Méditerranée ouvrent leurs pages au soleil du balcon






mes carnets de haikus s'appuient à un mur blanc
tandis que les Grands Maîtres s'adressent aux nuages





les Fleurs du Mal poussent Pays natal





des millions de lignes à lire
ou déjà lues





les ficus jouent aux échecs
et les cactus au go





un bocal de sable noir cale le papier à lettres





les contes de fées endorment les bougies





les livres de bricolage sont un peu de guingois





et puis le Loup des Steppes toujours tapi dans l'ombre






près de la porte,
un trousseau de clefs et des fleurs séchées






dans la chambre de l'aînée


la vieille maison de poupée
et la nintendo neuve





les géraniums épanouis
et la guitare sèche




les jumelles
et la mappemonde





les peluches en désordre
et les cahiers rangés





les tables d'addition
et les petits chatons





le lit, suspendu à un cerf-volant





les coquillages
et la lampe de nuit





les petits bonshommes
et la boîte à maquillage






dans notre chambre à coucher




l'ombre des dahlias rouges sur les draps blancs défaits





les fines fleurs face à l'armoire à glace





le réveil matin
(ses chiffres géants)





le carnet des tétées, le roman entamé





un monticule de linge, la bible du bébé





l'orchidée qui se meurt et la table à langer




et puis le petit lit


son ourson qui sourit


son draps aux larmes séchées



sa constellation d' animaux de la jungle



le petit lit



le petit lit



avec ses grands yeux ...










*

La Colombe partie dans le train de l'hiver, Taha Mohammed Ali


Amira,
Lorsque nos ainés s'en vont
Comme toi
Une migration dans fin commence en nous
Une certitude nous accompagne
Que tout ce qui est beau
En nous et autour de nous,
Excepté la tristesse,
S'en va
Sans jamais revenir.

Les grenadiers
Dont tu aimais les fleurs
Leurs branches se sont ramollies
Et les ombres les ont quittées,
Le chemin, les quinquinas
Et les ruisseaux
Tous sont partis
Après ton départ
Et ne sont plus jamais revenus.
En hiver
Arrivent des oiseaux étranges cherchant refuge
Parmi eux des cailles
Aux ailes colorées
Des oiseaux de proie
Et des oiseaux frêles et tristes
Qui nous captivent par leur bonté
Ils ramassent cailloux et graines
Tremblent sous le coup du froid
Et d'un profond sentiment d'exil.
Mais tous ces oiseaux partent
Soudainement
Ils viennent soudain en hiver
Et soudain ils s'en vont avec lui.

Ô Amira, j'ai un sentiment fort et étrange
Qui se renforce chaque hiver
Et devient plus étrange
Je sens qu'un jour tu reviendras
Avec ces oiseaux
Colombe d'olivier
Colombe charmante
Colombe parfumée
Colombe gracieuse, douce et inquiète
Qui se pose sur le cerisier de notre jardin,
Colombe qui ressent le froid mortel
L'exil mortel
Dont la nostalgie aux oliveraies est mortelle
Colombe qui sourit, les yeux emplis de jardins de tristesse
Qui soupire, des restes de joie dans son roucoulement.

Dès que je la verrai, je la reconnaîtrai
Je reconnaîtrai les colliers des catastrophes
Autour de son tendre cou
Je reconnaîtrai ses regards printaniers et purs
Ses regards chargés de rosée
Comme les rêves des lacs
Je reconnaîtrai ses pas veloutés et timides
Ses pas réguliers
Comme le souffle des semis de laitues
Je reconnaîtrai sa voix singulière couleur lilas
Sa voix mélodieuse
Qui, chaque fois que je l'entends,
Semble provenir d'un lieu profond en moi,
Lieu lointain de mon âme,
Lieu perdu et inconnu,
Cette voix qui m'atteint
Et que je salue et étreins
Avant qu'elle me parvienne
Je ne la rate pas
Je peux la distinguer
Parmi les voix de toutes les colombes du monde
Rassemblées en un seul jardin.
Lorsque je la verrai, ma main ira
Se poser sur mon cœur
Mais je ne lui laisserai pas voir
Les larmes dans mes yeux
Ni les larmes de joie de l'avoir retrouvée
Ni les larmes de ma peur
Ni les larmes des années de tristesse
Ni celles de mes années de souffrance.
Mon sang affluera dans mes veines
Pour aller à sa rencontre,
L'accueillir
Et célébrer son retour.

Elle aussi nous reconnaîtra
Tout la guidera vers nous:
Notre chagrin
Notre attente
La nostalgie
Le crépuscule et l'ardeur
La nuit
Les nuages et l'herbe
La forêt
Les saisons
Les routes
Et les fleuves
Elle nous reconnaîtra et elle pleurera
Elle se souviendra de nous et elle pleurera
Elle ramassera les cailloux et les graines
Et elle pleurera
Elle tremblera de froid
De la profondeur de l'exil
Et elle pleurera.
Nous lui parlerons des champs de chardons
Des fruits de coloquinte
Des crimes et des vents
Des griffes de la dispersion
De la cruauté de la nuit
De l'ardeur des soirs
Nous lui parlerons de la défaite
De l'amertume et de la perdition
Nous lui rappellerons les bourgeons des oliviers
Et elle pleurera.
Elle ne nous niera pas
Elle ne nous craindra pas
Et de nous elle ne s'éloignera pas
Mais soudain elle partira
Comme elle est venue
Car l'hiver
Qui l'a amenée
Un jour repassera par notre jardin
A la vitesse d'un train
Alors elle se réveillera
Et terrorisée elle pleurera
Elle s'accrochera à l'une de ses fenêtres
Et pleurera
Elle s'éloignera
Des larmes dans ses yeux chéris.

Amira,
Lorsque nos aimés s'en vont
Comme toi
Une migration sans fin commence en nous
Une certitude nous accompagne
Que tout ce qui est beau
En nous et autour de nous,
Excepté la tristesse,
S'en va, s'éloigne,
Sans jamais revenir.

La Colombe partie dans le train de l'hiver, Taha Mohammed Ali

nous n'aurons plus de grasses matinées


Regarde ! le soleil déjà
déflore les nids d'oiseaux
et crève de-ci de-là
l'obscurité mouvante du grand chêne.

Levons-nous !
deux menottes entrebâillent une porte de chambre
nous n'aurons plus de grasses matinées ...

mais dehors
les rosées nous tendent leurs gouttes
et l'herbe attend nos pieds.

Courrons!
nos bras sont libres d'enlacer nos feuillages
(la balançoire gémit entre les branches)

l'amour c'est aussi ce coup de pied
dans le ballon de nos enfants
ce baiser sonore qui éblouit l'oreille
et cette main furtive dans des cheveux bouclés.


Jean-Pierre Thuilllat, Verglas du bonheur.

pensées parc ielles

*








au pigeon
il s'est cru supérieur -
jusqu'à son envol









*









les vers du poème ...
... l'ombre des feuilles
... la poussette
... son cœur balance









*









lecture au parc -
une feuille séchée tombe
dans le poème









*









pareil à l'abeille
indolent et pressé
à la fois









*









sur chaque chose
comme l'abeille sur la lavande
son regard se repose









*









deux petites fleurs roses
épanouies au cœur du parc -
les pieds du bébé









*









une vieille femme
rate la main de son fils
marchant devant elle









*









un coin ombragé -
il s'est serré si fort
ce vieux couple.









*









hortensias en fleur -
les yeux de l' adolescente
rivés à sa clope









*









au parc, un mercredi
une fillette en robe bleue
s'ennuie









*








dispute au coin du parc
une heure plus tard
câlins au coin du parc









*









à un bébé
un autre bébé
emprunte son ballon









*









fin de sieste -
dans un monde tout bleu
le bébé s'étire









*









l'heure de la tétée
midi
tout rond









*