Santoka
vendredi 29 juillet 2011
dans les blés
blés
les yeux du boulanger
Gonflent les pains
Et crèvent les yeux blanchis à la nuit
Du boulanger
Yvon Le Men
mardi 26 juillet 2011
le chant
Que peut faire le feu
s'il n'a pas le bois pour le nourrir ?
Que peut faire le mot
S'il n'a pas la voix pour voyager ?
Le chant seul
Te sauve de la pésanteur
Yvon Le Men, Le Jardin des tempêtes
lundi 25 juillet 2011
dimanche 24 juillet 2011
Svetlana Marisova
Aujourd'hui j'entame une série de pages en l'honneur de mes haijins favoris.
Je commence avec Svetlana Marisova, une haijin néo-zélandaise rencontrée sur Facebook. Un article de Robert D Wilson, paru dans la revue Simply Haiku (http://simplyhaiku.theartofhaiku.com/summer-2011/simply-haiku/featured-haiku-poet-svetlana-marisova.html) nous la présente après l'introduction suivante :
"Il me revient de présenter cinq poètes de haïku dans la section haïku de Simply Haiku, afin de vous donner un aperçu de leur style et de leur vision. Il est assez classique pour un journal de présenter un ou deux haïku d'un même poète, cependant cela empêche le lecteur d'être en mesure d'appréhender son œuvre et d'apprendre de lui. Écrire le haïku n'est pas un passe-temps, c'est un chemin à prendre au sérieux. Quand je lis des haïku dans des publications en ligne, la plupart sont faibles, ne sont pas mémorables et disent peu.
Ce qui me surprend, c'est que certain poètes de haïku, après seulement un an de pratique occasionnelle, se sentent prêts à auto-publier leur livre de haïku. Soit ils sont savants, soit ils ont été amenés à penser qu'ils sont des poètes d'élite méritant une large base de fans. On ne maîtrise pas le haïku en quelques courts mois, ni même un an ou deux ou trois. Imaginez une personne qui prendrait des cours de formation à la peinture et qui, se sentant assez bon pour avoir sa propre exposition, s'y préparant, enverrait des photographies de ses peintures à diverses galeries d'art afin qu'elles envisagent de l'exposer; ou bien un adolescent qui prendrait des leçons de guitare pendant une année et enverrait des enregistrements à des majors de musique, se sentait prêt à devenir une star.
L'art est le produit d'un travail acharné, de la pratique, de l'étude, et du paiement de sa cotisation. Les journaux littéraire sérieux ne sont pas une vitrine pour amateurs. Quand ils le deviennent, ils perdent leur pertinence, et deviennent une autre de ces publications classées sous la rubrique : quand on en a vu un, on les a tous vus ... Peut être est-ce pour cette raison que la plupart des publications ne présentent qu'un ou deux haïku du même poète."
Personnellement, je trouve ces propos un peu durs et pour tout dire même un peu condescendants. Ils ne correspondent pas à ma vision du haïku qui est pour moi un art populaire ouvert à tous, enfants ou vieillards, riches ou pauvres, experts ou débutants, lesquels ont tous un droit égal à l'expression. Le poète talentueux sortira de toutes façons du lot, sans effort aucun, comme une pépite jaillit de la roche. Cela ne doit en rien empêcher les auteurs moins doués d'écrire des haïku si le cœur les y appelle. D'aucuns sentent le haïku de façon immédiate, d'autres se perfectionnent avec le temps, d'autres encore ne le comprendront jamais. Pour ces derniers, le travail le plus acharné ne sert à rien. Parmi tous ces auteurs de haïku, il en est aussi des géniaux qui, travailleurs ou inspirés, sont capables de ciseler des merveilles avec une facilité époustouflante. Ce qui nous amène à Svetlana Marisova :
Je ne sacrifierai pas la quantité à la qualité. En parlant de ça, Svetlana Marisova, nouvelle Editrice de Tanka et Webmaster de Simply Haïku, est une poète de haïku qui mérite une plus large attention. Elle prend son art sérieusement, lisant, étudiant, écrivant, éditant, ré-écrivant, affamée de grandir en tant que poète, et jamais satisfaite des poèmes qu'elle achève. Elle n'est pas un membre du troupeau, suivant le chef, fasciné par le joueur de flûte de Hamelin. Sa voix à elle est fraîche (...) Une fois encore elle a proposé plusieurs haïku. A quelques exceptions prêt, la plupart méritaient d'être exposés. Après en avoir discuté avec Sasa Vasic, nous avons décidé de faire une exception en ce qui concerne la règle des 5 haïku par présentation.
Lisez les haïkus de Svetlana Marisova. Ses haïkus sont un exemple éclatant de la qualité des haïkus que publie Simply Haïku." Je m'arrête un instant sur ces propos. Au fur et à mesure que je traduis ce passage, je suis en effet frappé par leur virulence et leur arrogance. Voilà des termes qui ne me donnent guère envie d'aller creuser plus loin dans cette revue. J'irais - je le sais - toutefois, plus par curiosité envers plusieurs auteurs dont j'apprécie l'écriture que par intérêt pour ce type de commentateurs.
floating downstream - 4 syllables (short)
the burden of my shadow 7 syllables (long)
on a mayfly 4 syllables (short)
dérivant - / le fardeau de mon ombre / sur une éphémère
Le poème de Marisova répond à un processus de haïku biaisé, dans la lignée des enseignements de Bashô. Marisova fait bon usage du yugen fait de teintes et de suggestions, à l'opposé du "tout dire". De la même façon, le poète utilise ma (chambre de rêve) (???). Ces deux styles esthétiques jouent un rôle important dans la façon de remonter le non-dit à la surface. C'est la danse du non-dit avec le dit combinée avec un haïku qui laisse de la place aux interprétations multiples. Marisova se sert très bien des styles japonais (outils esthétiques) qui transforment le haïku en un medium qui dit beaucoup avec peu , par sa capacité à suggérer, teinter, couplée à une bonne compréhension du kigo.
Voici les mots qu'écrivait l'artiste Tosa Mituoki (1617-1691) à propos de la peinture, et qui s'appliquent aussi au haïku :
"Ne remplit pas toute l'image de lignes; applique aussi des couleurs en touches légères. Une certaine imperfection dans le dessin est souhaitable. Tu ne devrais pas remplir plus d'un tiers de l'arrière-plan. Comme tu le ferais si tu écrivais de la poésie, prends soin de conserver quelque chose. Le spectateur aussi doit y amener quelque chose. Si l'on intègre du vide à l'image, alors l'esprit le remplira."
Regardez attentivement ce haïku de Marisova. Elle ne dit pas tout, encourageant l'interprétation de ses haïku, l'exploration des corrélations entre ses mots et le Dao (chemin).
swan song ...
the limb-loosening rush
of dark feathers
chant du cygne ... / l'élan aux membres relâchés / des plumes sombres
L'utilisation de la juxtaposition par Marisova est créative, et bien pensée, laissant les lecteurs avec un mystère à interpréter en fonction de la mémoire culturelle, de l'enseignement et de l'éducation parentale tirés de l'expérience de chacun. Pourquoi l'élan ? Est-ce un cygne blanc attaqué par un prédateur aux ailes noires ? Le cygne est il lui même un de ces rares cygnes noirs et si oui, quelle est la cause de son empressement ? L'utilisation de "chant du cygne" pour commencer le haïku lui ajoute de la profondeur. Bien que le chant du cygne soit communément associé à une sérénité poétique, une juxtaposition efficace placera les opposés ensemble de façon à stimuler une pensée qui puisse composer une image entièrement différente.
Seule un haïku correctement écrit utilisant des outils esthétiques peut exprimer autant avec si peu. Svetlana Marisova fait bon usage de ses outils. Le zoka, pouvoir créatif de la nature, sculpte tout ce qui n'est pas fait de la main de l'homme. Il est imprévisible, jamais statique et d'un nombre de variables infini.
A votre tour maintenant. Lisez chaque haïku une première fois. Puis relisez chacun une deuxième fois. Que vous dit chacun de ces haïku ? Souvenez-vous, votre tache ne consiste pas à imaginer ce qu'est l'interprétation de Marisova. Vous l’interprétez, vous finissez le haïku avec vos propres interprétations. Ce faisant, chaque haïku devient un poème vivant, sans commencement ni fin, transcendant l'évidence, touchant profondément vos terminaisons synaptiques.
falling leaf,
do you forget
your roots?
feuille qui tombe, / oublies-tu / tes racines ?
first light ...
for a moment all colour
is this
première lumière ... / pour un instant toute couleur / est celle-ci
silent dance ...
the distance between,
pulsing in time
autumn rain -
the colour of birdsong
smudging
pluie d'automne - / la couleur des chants d'oiseaux / maculée
morphine ...
again my dreams
submerging
morphine ... / une fois encore mes rêves / submergés
pearl diving ...
haiku and tumours
from the depths
plongée aux perles ... / les haïkus et les tumeurs / des profondeurs
in the wind
what might have been ...
sleepless moon
dans le vent / ce qui aurait pu être ... / lune sans sommeil
the universe
suddenly personal ...
newborn child
l'univers / soudain personnel ... / nouveau-né
La traduction ampute ici doublement aux haïkus originels puisque d'une part, elle révèle ma propre interprétation de ces poèmes et que d'autre part, elle est - par le fait même de la traduction - infidèle. A fortiori à partir de la langue anglaise qui est si concise et si pratique. Néanmoins, on obtient une idée du style propre à Marisova, qui procède par la juxtaposition d'images, l'allusion, la suggestion et la concision. C'est sans doute ce qui me plait le plus dans son écriture, ce mystère permanent, ces lignes flous, cette souffrance et cette beauté, ces mots qui disent souvent la douleur, l'éphémère, l'émerveillement et l'urgence. C'est vers cette forme d'écriture que je me sens de plus en plus appelé, même si parfois je suis également subjugué par d'autres haïkus pétris ceux-là d'évidence, de simplicité, d'humilité et de quotidien.
Je poursuis par un aperçu des haïkus de Svetlana Marisova, traduits du mieux que j'ai pu.
winter gloom
staunching the flow
of light
morosité hivernale / endiguant le flux / de la lumière
twilight -
the chrysalis
forming
crépuscule - / la chrysalide / prenant forme
day by day
baptismal rain ...
open hands
jour après jour / la pluie baptismale ... / mains ouvertes
the colour
of the blackbird's song ...
winter warmth
la couleur / dans le chant du merle ... / chaleur hivernale
this raindrop
clinging to a leaf
all day long
cette goutte de pluie / s'accrochant à une feuille / le jour durant
Celui-ci est particulièrement émouvant. Svetlana Marisova est en effet sur le point de subir une opération chirurgicale en Russie, suite à une tumeur au cerveau. Ses poèmes sont empreints d'une grande tristesse, de ce profond attachement à la vie, de cette urgence, de cette soif d'images et d'amour.
juicy apple
and at the core
half a worm
une pomme juteuse / et au cœur / la moitié d'un ver
leave-taking
blinded with tears ...
winter smoke
prenant congé / aveuglée par les larmes ... / fumée hivernale
cold morning ...
reality drifts back
as a dream
matin froid ... / la réalité reflue / comme un rêve
dancing alone
in the twilight
a shadow
dansant seule / dans le crépuscule / une ombre
winter chill ...
some bird singing
her heart out
froid de l'hiver ... / quelque oiseau chantant / de tout son cœur
(ici la traduction ne rend pas l'idée, to sing out signifiant "parler fort", "se faire entendre" en même temps que l'image vient d'un personnage s'arrachant le cœur pour le donner)
from my dreams
distant rumbling ...
spider web
de mes rêves / le roulement lointain ... / toile d'araignée
morning chill ...
my breath merges
with the mist
froid du matin ... / mon souffle se fond / dans le brouillard
you ask
"what's on my mind?"
errant breeze
tu demandes / "à quoi je pense ?" / brise errante
winter chill -
still this outburst
of flowers!
froid de l'hiver - / pourtant cette explosion / de fleurs!
dormant seed,
why must you sprout
so early?
graine endormie, / pourquoi dois-tu germer / si tôt ?
wintry sky ...
these dark tumours
draining light
ciel hivernal ... / ces tumeurs noires / drainant la lumière
snow blanket ...
veiling the fire
within
couverture de neige ... / voilant le feu / à l'intérieur
these dark ages ...
sand waders gathering
before dawn
ces âges sombres ... / les échassiers se rassemblent / avant l'aube
Voici mon interpétation (toute personnelle) de celui-ci : dans cette période sombre où l'auteur s'apprête à affronter la mort, ses amis se rassemblent autour d'elle pour lui dire adieu et lui souhaiter bonne chance. Vient l'aube, le moment du départ et sa profonde tristesse. Mais on pourrait tout aussi bien imaginer les pluviers en tant que créatures de la nuit, venues, tels des vautours, profiter de son repos et de sa faiblesse. Tout est ici question de point de vue.
Bonne chance, Svetlana. Nos meilleures pensées t'accompagnent.
Kaikoura beach -
les puffins fuligineux
au grand complet
plage de Kaikoura -
the Sooty Cheerwaters*
in full
(*Shearwaters)
à l'ombre des sophoras ...
fuyant la chaleur, je bois légèrement et m'endors
profondément jusqu'au crépuscule
l'ombre des sophoras et des paulownias remplit presque la véranda avec un bonnet en soie bleue et un éventail en plumes la fraîcheur naît spontanément
du nectar de jade récemment filtré je dispose deux coupes,
sur une natte en bambou bien étalée où s'allonger à l'aise
un homme à cheval est venu de loin pour m'apporter des litchis de cinabre
dans une grande bassine d'eau froide trempe une pastèque émeraude parfumée
qui osera dire que vivre retiré au bord d'un lac est misérable ?
j'aime particulièrement les longues journées d'été interminables
Lu Yu
vendredi 22 juillet 2011
la boîte à virgules
elle m'encombrait
des quantités de points, de virgules et de points-virgules
que j'ai jetés en vrac avec la plupart de mes tirets
mais surtout toutes les majuscules
qui commençaient à prendre trop de place
sur les étagères de mes poèmes
s'affaissant sous leur poids
il ne me reste plus à présent
qu'une quantité de clous
pour planter mes colères et mes émerveillements
un petit crochet
pour suspendre les mystères
et les questions en attente
et aussi les trois petits points
les trois petites clefs dont on se sert
pour ouvrir les horizons
mais j'ai surtout gardé un point
un seul
un point pas plus gros qu'une tête d'épingle
ou que l'homme sur l'horizon
juste avant qu'il ne soit plus rien
le point final
je le garde précieusement
pour plus tard
quand le moment sera venu
le point du jour
de la fin
Vincent Hoarau
orties & ronces
vieux tronc
les orties me laissent
une petite place
soleil vif !
une ronce griffe
le ciel d'automne
les orties et les ronces
dans la douce chaleur
du soleil d'automne
solitude ...
la piqûre
d'une ortie
bientôt l'hiver -
la haie se hérisse
de ronces et d'orties
lendemain d'orage
dans l'air chaud de midi
les orties prospèrent
à l'orée du bois
en embuscade
les orties !
la ronce
qui m'a griffé cet automne
m'offre sa première fleur
lendemain d'orage
les orties
en colliers de perles
au plus profond
des ronces de mûriers
les plus belles prises
loin des regards
les orties mal aimées
osent fleurir
dans mon refuge
le bourdon aime aussi
les fleurs d'orties
*
j'aime l'araignée et j'aime l'ortie
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;
Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;
Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux ;
Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !
Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,
Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !
Victor Hugo, les Contemplations
jeudi 21 juillet 2011
avions
hall d'embarquement -
sa petite tête blonde
disparait à droite
embarquement porte 7
un jeune couple
se déchire
dans le couloir
qui mène à l 'avion
le pas s'accélère
vaste ciel d'été
les étourneaux plus rapides
que l'avion
attente en avion
écrire un haïku
sur un sac à vomi
ses ailes mouillées
par la pluie parisienne
étincellent au soleil !
atterrissage
sur la piste enneigée
la première guirlande
la porte de l'avion
entre un hémisphère
et l'autre
après la douane
après les bagages
l'odeur de la mer!
*
Aéroport de Gillot -
sa valise pleine à craquer
de parfums
hall des arrivées -
leurs visages, un à un
s'illuminent
hall des arrivées
les manteaux noirs accueillent
les t-shirts colorés
*
le vol des hippopotames
Jean-Claude Martin, Ciels de miel et d'orties.
La république des poètes
« A l'heure où la France se dote d'un ministère de l'Identité nationale, nous sommes heureux de pouvoir dire à ces poètes venus d'ailleurs : « soyez les bienvenus, ce livre est le vôtre, cette langue est la vôtre, nous sommes fiers de vous compter parmi nous ». La république des poètes et les tests ADN ne font pas bon ménage!
mercredi 20 juillet 2011
la fête à la grenouille
des grenouilles j'entends
le chant lointain
La grenouille
Coasse
all day long the frog sings
I work nights
James Rodriguez
Les grenouilles
Se taisent
dans les herbes de l'étang
le rire des grenouilles
Hymnes bouddhiques
Dans le puits du temple
Des grenouilles chantent
Elle psalmodie son chant
La grenouille
Clameur de soldats
Sur le champ de bataille
Les grenouilles coassent
Le bruit se mêle
A celui des grenouilles
In the ditch
At night fall
Jack Kerouac
le vent du soir retransmet
un concert de grenouilles
concert de grenouilles
strumming my guitar
frog's chorus
Charlie Smith
ne se demandent jamais
si elles nous dérangent
des grenouilles commencent à chanter
-soir
Nuit magnifique
Cris des grenouilles
mardi 19 juillet 2011
Ciels de miel et d'ortie
Cinq poèmes tirés de Ciels de miel et d'orties, de Jean-Claude Martin.
Pas assez beau pour vivre ce matin. Pour mourir non plus ... Des trous bleus dans les nuages comme ceux que les esquimaux font dans la glace pour pêcher du poisson. Sommes nous les poissons ? Les pêcheurs ? Et quelle prise pouvons nous espérer ? ... Un jour stupide et lisse nous attend. Un de ceux dont on se demandera ce soir pourquoi toutes ces heures on a fermé les yeux.
*
Un ciel en équilibre. Entre l'effroi et la colère. Avec des lueurs bleues dans les yeux. Des sourcils noirs de doute. Son souffle est court et fétide comme celui d'un animal en inquiétude. On le sent accablé de secrets trop lourds, de désirs trop grands pour lui. Peut être ne prendra-t-il aucune décision ce soir encore ? Mais nous en avons assez de n'être rien dans son chagrin ou sa terreur, et qu'il nous noie de ses humeurs sans même savoir qu'on existe ...
*
Trop tard. Le crime avait déjà eu lieu. Des bandes de ciel déchiré traînaient sur l'horizon. Des zébrures de poignard rageur. Une immense tache de sang. On venait de faire disparaître le cadavre. Tout sentait encore sa présence : une certaine chaleur, un reste de lumière rose. L'assassin avait de puissants complices : une obscurité tenace commençait de brouiller les pistes, d'effacer les souvenirs. Qui avait intérêt à faire déjà la nuit ? Le plus terrible était de sentir combien tout cela nous dépassait ...
*
Parfois le soleil s'allume vers cinq heures. Vieux briquet dont on pensait qu'il ne marchait plus. Flamme pâle. Qui n'éclaire qu'elle même. L’œil d'un dormeur qui s'entrouvre ... et retourne à ses songes. Nous aussi, on se dorlote de brouillard. Malheur à celui qui fait un geste le premier ! La vie est douce quand elle n'existe pas ...
*
et celui-ci que j'ai trouvé très émouvant :
Il a de plus en plus de peine à dépasser les arbres. Vieillesse ? Lassitude ? C'est parce que les hommes ont fait un trou dans la forêt qu'on le voit encore. Un dieu qu'on peut regarder sans baisser les yeux est-il encore un dieu ? J'aime son humanité. Il ne nous protège plus, mais ne nous remplit pas d'effroi. Il ne nous réchauffe plus, mais nous est proche. Ne l'humilions pas avec nos feux, nos lampes, nos manteaux. Quand il vient, je l'écoute en silence et ma peine comme le brouillard s'efface peu à peu. Je le serre dans mes bras et c'est moi qui lui donne la lumière qu'il lui faut pour mourir.
Jean-Claude Martin
débacle
Ce matin, une pluie froide et continue nous a fait comprendre qu'elle avait la ferme intention de durer tout le jour. Et en effet, toute la matinée, triomphante, elle a secoué les toits de bruits de tôle ininterrompus. Et puis midi a sonné. Comme un coup de clairon doré. Le soleil a sorti sa tête de gamin blond sauvage et déchiré les nuées d'éclats de rire en cascade. Une heure après, c'en était fini de ce colosse bouffi d'orgueil. Ses troupes clairsemées fuyaient aux quatre coins du ciel. Une armée entière mise en déroute par un enfant joufflu. A présent la terre transpire. Tout sèche tranquillement. Une dernière goutte tombe de mon parapluie. Et le soleil saute à pieds joints dans les flaques.
Vincent Hoarau
éclaircies
éclaircie -
un chat de gouttière
prend la fuite
éclaircie -
chante aussi
la Remington
éclaircie -
un papillon blanc
secoue ses ailes
éclaircie -
deux seins sortis
avec elle
éclaircie -
la brise la feuille et le soleil
jouent avec une goutte
lundi 18 juillet 2011
tiédeur d'une nuit d'été
Couchée seule dans une chambre obscure
tiédeur d'une nuit d'été
flotte entre quatre murs
Fenêtre ouverte sur cour immobile
une femme gémit au loin
et son désir me parvient
par vagues
Dans le silence profond des secondes
monte monte
seul mot du monde
viens viens viens
Seule couché murs écartés
tiédeur d'une nuit d'été
couchée sur un océan obscur
Une femme jouit au loin
et le plaisir éclate
comme une grenade bien mûre
Azadée Nichapour, Parfois la beauté
Peinture : Kawase Hasui (Nonomiya Shrine, Kyoto)
loin de moi
Bientôt, je serai dans le ventre d'un de ces grands poissons qui traversent le ciel, menant grand bruit et fumée blanche. Je me verrai, pitoyable insecte courant sur la terre, effrayé par l'ombre du jardinier. Je ne me verrai pas. Je serais loin de moi.
Je volerai.
Jean Claude Martin, Ciels de miel et d'orties
*
béton armé
une pousse pâle -
partout autour
le béton armé
Résidence les Acacias ?
du béton, de l'acier
et un parking autour
le nouveau pont
béton et ferraille
ville grise
un coin de ciel bleu
peint à la craie
new skyscraper
erasing another piece
of my summer sky
retour du printemps
les grues s'animent à nouveau
entre les tours
là-bas
le néon des villes
éteint les étoiles
mon coin de verdure
de plus en plus de détritus
à ramasser
gratte-ciels dressés
comme des tombes dans
le crachin
Je me range dans
le foule des hommes grossiers
puant la sueur
le rapace
en cercles au dessus
des HLM
A force d'avoir serré ses maisons
Le faubourg s'est mis
En accordéon
déjà deux étages
à la place du jardin
des voisins
Les autoroutes de Tokyo
ressemblent à des intestins
sous la pleine lune
à l'ombre de l'usine
les mains abandonnées
un songe d'océan
Au milieu des champs
l'odeur de peinture
de l'usine d'automobiles
Moteur en marche
devant le magasin bio
le gros 4x4
toute la famille
sort du 4x4
marché de Noël
pluie sur l'autoroute
les 4x4 crachent
sur l'herbe du talus
dans la cour de l'usine
où nul de travaille plus
repos dominical
sa pelouse bien tondue
sa voiture bien propre
à deux pas
de l'hôpital décrépi
une banque neuve
au pied de la banque
entassés
les feuilles mortes
dans l'ombre froide
d'une vieille cathédrale
un petit minaret
Zone Artisanale -
le violoniste au carrefour
qui l'écoute ?
aube froide
les portes du métro
s'ouvrent aux fantômes
sur le quai du métro
quelques gouttes de sang
aube blême
touffeur du soir -
le vieux Noir du parc
choisit son banc
devant les mains tendues
du mendiant au carrefour
les essuie-glace
premières lueurs de l'aube
la neige bleutée
qu'ils souilleront bientôt
aube sous les palmiers
les yeux mi-clos des travailleurs
à l'arrêt de bus
banlieue
sur les tours il règne en maître
le corbeau
"bienvenue"
dit toujours le paillasson
jeté à la décharge
Assise dans l'herbe et les fleurs
je me demande combien de temps
cela pourrait durer
comment te sens-tu
de voir en ta patrie une étrangère
qui te met la corde au cou
pour te pendre, comment te sens-tu
de haïr les gens qui l'habitent, les visages
misérables qui passent, les âmes
enragées, s'adonnant à la chasse
au gain illicite, immoral ? Comment
te sens-tu de haïr tes jours, et le temps
assassiné qui part dans le monstrueux
décor dressé autour de toi ?
Comment te sens-tu de te croire mort
ou mutilé, étranger aux affaires communes
incapable de rien faire, comment te sens-tu
de vouloir échapper à ta ville ?"
Mots trouvés sur un papier trempé
dans la poche revolver du noyé
tiré du fleuve profond
d'une ville étrangère. On ne savait pas
qui c'était, s'il s'agissait d'un crime
ou d'un suicide. On ne le sut que plus tard:
c'était un poète d'un pays qui souffre.
Ville marâtre, Michalis Pieris
dimanche 17 juillet 2011
tristes pluies d'été
Averse d'été -
une femme solitaire
rêve à la fenêtre
de la fenêtre
les ronds de pluie
de la piscine
bière tiède -
il pleut
sur la piscine
pluie d'été
une grenouille seule
sur le quai
Pluie d'été
les visages des statues
inondées de larmes
Triste pluie d'été
Sous les toits de l'entrepôt
vieillit le saké
Il n'est pas venu -
cette pluie assourdissante ...
cette pluie
Ce plateau-repas
pour moi seule -
lumière de la saison des pluies
Gouttes d'étoiles
aux vitres ce soir-là
l'ombre sanglote
sa tombe
plus intime
sous la pluie
dans le creux du O
sur la tombe
un reste de pluie
Nuit pluvieuse
Tu te couches avec la pluie
et l'étoile est ta bride.
Ton sommeil se fissure, se construit,
on l'entend dans l'autre monde.
Les grillons pirates apparaissent
pour chanter leurs dédicaces.
Kalliopi, Mihaïl, Elèni,
Chrysànthi, Katerina, Evthymià.
Peut-être sont ils morts
mais ils gardent leur secret.
Au réveil tu marmonnes encore
le refrain des pluies compatissantes.
Michalis Ganas
samedi 16 juillet 2011
parfums de pluie
*
route désaffectée
l'odeur des gouttes
de la pluie d'été
elle est retrouvée ...
quoi ? l'odeur de la terre
de la pluie d'été
petits pas pressés
sous les lourdes frondaisons
l'odeur de la pluie
averse matinale -
je referme mon livre
pour respirer la pluie
trouvé un abri
un parfum de glycines
enveloppé de pluie
va-t-il pleuvoir ?
envahissant la maison
l'odeur des prunes
Summer rain -
a new lover's scent
on my skin
matin de pluie
les lilas blancs
encore plus lourds
première goutte -
une odeur de poussière humide
sort de terre
pluie sur les toits
une odeur de vieux livres
sous les combles
la pluie d'été
une envie pressante
empreinte
sur le ponton
l'empreinte de mon pied nu
si vite absorbé ...
De cet amour d'un été
j'ai oublié le visage.
l'été craque
qui vient sur la paume mouiller, annoncer
l'averse crépitante sur le ciel de poussière.
L'été craque comme un bateau que fatigue
le dernier voyage mais voilà, fraîche, l'eau
que la main n'enfermera pas : elle s'évade
pour le chemin de roche. Jamais personne
ne connaît le passage. Et c'est plus bas, là,
au creux improvisé des collines que chante
pour qui s'approche, ce peu qui brille, cristal
qu'à peine né, le temps déjà enfouit en terre.
Un filet d'eau, Bernard Moreau