"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




lundi 17 mars 2008

aux poilus

Voici quatre-vingt ans que chaque année, au mois de novembre, est célébrée la fin de ce qu'on a appelé la Grande Guerre, celle de 14-18. Ceux qui ont échappé aux massacres ont souvent des difficultés à raconter ce qu'ils ont vécu, l'horreur de cette existence pleine de morts, de souffrance et d'injustice étant difficilement imaginable pour nos contemporains. La terreur et le désespoir des tranchées, de la boue, du sang, sont toujours difficiles à raconter à ceux qui n'y étaient pas.





Et pourtant, un homme, un poète, a su transmettre, à travers ce qu'il voyait, ce qu'il vivait, l'absurdité de ces batailles où des millions de jeunes gens étaient envoyés à la mort comme du bétail. Par de rapides impressions écrites au moment où elles étaient vécues, Julien VOCANCE (1878-1954) nous a laissé son témoignage de la guerre de 14 dans un recueil intitulé "Cent visions de guerre" (une allusion au "Trente-six vues du Mont Fuji" du graveur d'estampes japonais Hokusaï). Utilisant avec efficacité la forme poétique du haïku, Julien VOCANCE a su adapter des techniques poétiques venue de l'autre côté du monde pour tenir, sous la mitraille et les bombes, un journal de guerre composé d'une succession de tercets qui racontent en visions brèves les trous d'obus, le sifflement des balles, les pauvres cadavres accrochés aux barbelés.
Certains de ces tercets sont restés célèbres. Ils retracent, en de courts tableaux, d'intenses moments de cette guerre atroce.






Dans un trou du sol, la nuit


En face d'une armée immense


Deux hommes




*


La mort dans le coeur


L'épouvante dans les yeux


Ils se sont élancés de la tranchée




*



Ils ont des yeux luisants


De santé, de jeunesse, d'espoir


Ils ont des yeux en verre.




*






Malaise de toute la chair


Où, dans un instant, peut entrer


La mitraille proche.




*


Gris fer, gris plomb, gris cendré,


Gris dans les coeurs résignés :


Relève des tranchées.




*


Pour arriver jusqu'à ma peau


Les balles ne pourraient jamais


Se débrouiller dans mes lainages.




*


Dans sa flanelle


Ses ongles vont, picorant


Les petites bêtes.




*


Il a lu la lettre de l'écolière,


Il a bien regardé son nom,


Il a dit que ça n'était pas pour lui.




*


Dans les vertèbres


Du cheval mal enfoui


Mon pied fait : floche...




*


Une belle lueur !...


Les mains aux paupières


Pour se protéger.




*


Retenu par le poids du sac, à la renverse


Sur la pente gluante,


Il gigote, hanneton comique et pitoyable.




*


Pansements durcis,


Vêtements flétris,


Visages fermés.




*


Des croix de bois blanc


Surgissent du sol,


Chaque jour, ça et là.




*


Un trou d'obus


Dans son eau


A gardé tout le ciel




*


Fleur qui respirait la lumière,


Son oeil gît,


La gorge tranchée.




*


Au petit jour,


Ils avalent goulûment


La soupe froide.



*


Dans ses yeux déjà voilés

L'affreux souvenir a passé

De la femme et des petiots...



*


Mais le poète survit tout en conservant à jamais les blessures de cette guerre effroyable.


*


Je l'ai reçu dans la fesse


Toi dans l'oeil


Tu es un héros, moi guère




*




Echappé de la lutte sanglante,


Sous la lampe du soir


Me réfugier près de toi.




*


Guerriers farouches!


Leur coeur chavire


Devant un bobo de gosse.




*


Vieux briscard,


Aux champs retiré,


Mais que l'après-guerre lamine.




*


Il s'assit,


Genoux au menton


Dans une encognure de porte.




*




Cent visions de guerre est publié dans Le livre des Haï-kaï, poèmes de Julien Vocance (Joseph Seguin), Les Compagnons du Livre, 1983



http://www.terebess.hu/english/haiku/jvocance.html

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