"A tous les visiteurs, si vous apportez avec vous votre mets favori, salé ou sucré, si vous savez chanter ou danser sans retenue avec la légèreté du vent printanier et de la rivière en automne,si vous n'affichez pas un air suffisant ou affligé,alors nous partagerons la plus grande joie"



Santoka




dimanche 22 mai 2011

Pour Eliane

Lettre morte


Ma chère marraine,


Je prends la plume

celle du paille-en-queue longue et blanche et trempée à l'encre bleue du ciel

pour t'écrire cette lettre

sur un papier doux bien doux comme la feuille de sauge


et te dire que je pense à toi

tu tries avec tes mains tachetées les grains noirs dans le riz blanc

tu écosses une après-midi verte humide et indolente

tu t'affaires dans un parfum du boucané bringelle ou de brèdes chouchou

tes mots la saveur des bichiques

tu ensoleilles les assiettes dépareillées et les jours de la nappe

tu couds les journées de paroles

tu marches, fière comme un piton de neiges éternelles

tu laves les soirées torrides dans l'eau fraîche de l'évier

toutes ces choses que tu fais

avec la force des vieux banyan

la largesse des bougainvilliers

et la douceur des fougères.

cela fait bien longtemps

si longtemps si douloureusement longtemps

le temps a saigné goutte à goutte

l'huile des géraniums puisé

à l'alambic de ma mémoire

mes souvenirs tout condensés dans le liquide trouble

dont il reste si peu mais qui parfume l'âme


que je n'ai pas pris de tes nouvelles

ton île ? ton pays ? ton quartier ? le marché ?

ta case ? ton jardin ? ta cuisine ? tes fleurs ?

tes amies ? ton mari ? tes enfants et les leurs ?

tes membres endoloris ? tes artères ? ton cœur ?

tes rêves ? tes envies ? tes plaisirs ? tes peurs ?


ici tout va bien

réveil métro boulot bouchons parking travaux béton bouffe apéros …

mais aussi les milles visages d'un trésor nouveau-né

et la première, qui est maintenant si belle et si sérieuse

et les mains chaudes de celle qui sèche mes larmes


et toi comment vas-tu ?

on m'a dit le ver qui ronge le traitement l'espoir ...

oh ce poids sur ma gorge quand on m'a dit ta peine

oh pas toi ma fière ma grande ma bienaimée marraine

cette douleur en toi, je l'aspire et la crache comme un venin !

oh non marraine dis moi dis moi que tout va bien

quel temps fait-il là bas ?

des nuées grises un ciel de cendre des terres brûlées un monde noir

la rage révoltée des cyclones de mars

ou les alizés bleus à plein poumons

et la tiédeur des plages de filaos ?


pries tu chaque jour les rouges autels de Saint Expedit

ou trouves tu la paix dans la fraiche blancheur des églises de Marie ?


j'espère te revoir bientôt

je sais que je ne te reverrai jamais


je pense fort à toi

telle que tu étais alors quand moi j'étais enfant

l'indestructible rire

la salangane

le riz étincelant

je t'embrasse

le même baiser débordant de tendresse que celui que tu fis au bébé que je fus


ton neveu

ton fils, ton père, ton mari,

l'amputé, l'orphelin, le sans-abri

celui qui t'aime, celui qui saigne, celui qui pleure

nous,

le dernier homme

l'astronaute à la dérive

dans le grand rien glacial et terrifiant

de la fin.

Vincent.

Les premières feuilles

Les premières feuilles tombent

elle a perdu, me dit-on

encore quelques cheveux.

Je n'aurais plus jamais honte

de parler des choses qui comptent.

vieux banyan



*






"oté ou lé mèg, don !"
disait en servant le cari
ma tante malade







*







son grand sourire
les milles choses qu'elle raconte
ma tante malade







*







après cent mariages
la famille réunie
pour les premières obsèques







*







aube claire sur ma maison -
quand l'air froid du soir souffle
sur leur vieux banyan






*